Faire du bien-être la sentinelle de vos actions
Lise Bourdeau-Lepage, chercheuse et professeur de géographie à l’université Jean-Moulin-Lyon-III, s’adresse aux élu(e)s pour évoquer la notion de bien-être et ses avantages dans l’action publique. Elle revient sur plusieurs expérimentations concluantes de démocratie participative consacrées à cette question souvent traitée trop superficiellement.
Pourquoi vouloir accéder à cette fonction qui est souvent décrite comme prenante, difficile, exposant aux critiques et aux médias son auteur ? J’ose espérer que c’est pour la même raison que celle pour laquelle vos concitoyens voteront pour vous. Vous n’êtes pas sans savoir que c’est principalement par devoir moral ou civique, par peur de stigmatisation sociale (1), ou encore pour des motivations économiques comme celles liées au patrimoine, que les personnes se rendent au bureau de vote.
En effet, si vos concitoyens étaient rationnels, ils ne devraient pas aller voter, selon la théorie du choix rationnel, compte tenu du temps consacré à décider pour qui voter et à aller voter, et de la faible probabilité que leur vote change quelque chose, surtout si l’élection concerne beaucoup d’électeurs (2). Pourtant, ils y vont et vous confient leur voix. Ils le font en espérant que le candidat élu améliorera leur situation.
Fort de ce constat, nous pouvons considérer que votre engagement en tant qu’élu devrait avoir comme ultime finalité l’amélioration concrète de la vie de vos concitoyens. J’entends déjà vos interrogations surgir : comment procéder pour atteindre ce but ? Comment connaître les attentes de mes concitoyens, les hiérarchiser et ne pas commettre d’impairs ? Il est vrai que la chose publique n’est pas aisée, mais n’est-ce pas là tout l’intérêt de la fonction d’élu ? Cela dit, des réponses à vos questions existent. En prenant comme objectif de vos actions le bien-être de vos administrés et en adoptant certaines pratiques, une voie s’ouvre à vous pour parvenir à cette fin.
Il s’agit donc de faire du bien-être la sentinelle de vos actions. Mais comment procéder ? Sachez que des méthodes ont été développées et sont déjà utilisées par certains de vos pairs en France, comme par ceux de la Ville de Lyon ou de l’agglomération de Grenoble. À Lyon, la Boussole du bien-être est en action depuis environ trois ans, et plus, si on compte le temps de son élaboration. Elle est née de deux idées simples, mais puissantes, portées en grande partie par Chloé Vidal, adjointe à la Démocratie locale. La première est que, les pouvoirs publics n’ayant pas le monopole de l’action publique, il est nécessaire d’agir avec les Lyonnais et de reconnaître leur rôle dans la fabrique urbaine, notamment en prenant en considération leurs perceptions et leurs vécus.
La deuxième est que les élus ont un devoir de redevabilité face à leurs administrés et que le bien-être est un bon indicateur de mesure du succès de leurs actions. Cette boussole a pour objectif de permettre des arbitrages politiques et budgétaires en fonction des priorités citoyennes, de créer en quelque sorte un « budget bien-être ». Elle est composée de douze dimensions du bien-être déterminées par les Lyonnais, les élus et les agents de la Ville qui ont participé aux ateliers de l’Assemblée citoyenne. Vous pourrez, bien sûr, vous inspirer de la démarche lyonnaise. Toutefois, il vous faudra respecter certains principes pour mener une politique inclusive et démocratique qui contribuera, nous l’espérons, à réduire la défiance actuelle des Français face aux institutions.
Parmi ces principes, le principe de transparence est incontournable. En effet, bien que de nouvelles formes d’organisation politique émergent, intégrant la participation des habitants à la conception de projets, ces derniers souffrent d’un manque de transparence (3). Le processus de prise de décision reste opaque. Il vous faudra donc prendre réellement en compte l’avis de vos concitoyens et saisir la différence entre consultation et concertation.
Lise Bourdeau-Lepage
Lire la suite de cette tribune dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique
Crédit : Lila Castillo, Guillaume Voiseau
Notes :
1/ Cécile Braconnier & Jean-Yves Dormagen, La Démocratie de l’abstention, Gallimard, 2007.
2/ Andre Blais, To Vote or Not to Vote: The Merits and Limits of Rational Choice Theory, University of Pittsburgh Press, 2000.
3/ Amélie Dakouré, « Allier urbanisme et sciences participatives à Paris : une stratégie gagnante pour le bien-être et la biodiversité dans la ville de demain », thèse de doctorat, université Jean-Moulin-Lyon-III, 2024.