« Les élus sont d’accord pour le ZAN, mais pas pour la méthode »
Les sénateurs Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse) et Guislain Cambier (Nord) reviennent sur l’élaboration de la proposition de loi Trace pour une mise en œuvre alternative de l’objectif ZAN pour 2050, avec, comme priorité, la facilitation de la méthode pour les élus locaux.
Les sénateurs Jean-Baptiste Blanc (à g.) et Guislain Cambier, crédit : Capture vidéo Sénat
En janvier 2024, vous avez mené au Sénat un groupe intercommission de suivi pour la mise en œuvre du ZAN (« zéro artificialisation nette »), qui a donné lieu à un rapport à l’automne. Puis vous avez décidé de porter la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). Pourquoi ?
Guislain Cambier : Dans ce groupe intercommission, transpartisan, nous avons mené tout un cycle d’auditions, de rencontres, de déplacements sur le terrain avec les différents acteurs, que ce soit élus ou spécialistes de la notion d’urbanisme. Le rapport qui s’est ensuivi montrait un certain nombre de points qui restaient en suspens, malgré les améliorations que Jean-Baptiste Blanc et Valérie Létard [vice-présidente du Sénat 2017–2023, ndlr] avaient pu porter en 2023 dans ce que nous appelons la loi « ZAN 2 ». Et en particulier, pour la difficulté d’interprétation du texte au
niveau local, à cause des différences entre les territoires et d’une absence de territorialisation réelle, ce qui entraînait de gros soucis de définition et d’application. On avait alors un dispositif très vertical, avec des injonctions contradictoires vis-à-vis d’autres textes en place. Il fallait donc proposer autre chose – et aussi fixer un certain nombre de définitions –, pour que les élus aient une feuille de route dégagée jusqu’en 2050, ce qui n’était pas le cas.
Jean-Baptiste Blanc : Avec Guislain, nous nous sommes rendus dans presque tous les départements de France, invités par nos collègues sénateurs. À chaque fois, il y avait une centaine de maires ou adjoints à l’urbanisme dans la salle. Cela fait donc quatre ans que l’on voit des milliers d’élus locaux qui nous disent tous : « OK, pour l’objectif, mais non à la méthode. » C’est-à-dire la planification uniforme par les Sraddet [schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires]. Cet urbanisme comptable imposé par Paris ne marche pas, d’autant plus qu’il n’y a aucun accompagnement financier, fiscal, aucun outil, pas d’ingénierie. Nous avons aussi entendu des urbanistes qui nous ont tous dit que cet urbanisme comptable ne marchait pas. En l’espèce, c’est le ‑50 % de diminution du rythme de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) en 2031 qui ne fonctionne pas, et qui n’a pas permis de différencier, de territorialiser, comme le dit Guislain. Mais il y a d’autres sujets de friction. Les élus ne sont pas d’accord avec la définition de l’artificialisation et, surtout, avec l’idéologie de cette définition, c’est-à-dire le fait de considérer comme artificialisés les jardins pavillonnaires pour faire du pavillon sur le pavillon, donc la ville sur la ville telle qu’elle est imposée. Ils ne sont pas d’accord non plus avec les chiffres de consommation du foncier. Et nous ne sommes pas d’accord avec la façon qu’a l’État d’appréhender les projets d’envergure nationale et européenne (Pene). La gouvernance, aussi, est toujours problématique : cette planification est faite sans aucune concertation avec les élus locaux. Voilà ce que, avec Guislain, on entend depuis trois ou quatre ans, du matin jusqu’au soir.
En définitive, notre texte est un texte d’élus locaux qui veulent y arriver et qui demandent un changement de méthode. Et tous les procès qu’on nous fait sont absolument injustes, car nous ne remettons pas du tout en cause l’objectif final. Trace, c’est un « T » pour « trajectoire », c’est-à-dire un contrat, contre le plan. On garde l’objectif, mais de façon concertée et pragmatique pour que les élus locaux y arrivent d’une meilleure manière.
En quoi Trace serait-elle plus adaptée pour les élus ?
J.-B. B. : Notre intention est de contractualiser la trajectoire, de faire du cas par cas, et d’entendre la voix de chaque territoire, pour que chacun définisse son projet de sobriété foncière. Un maire qui veut participer à l’effort de réindustrialisation, qui est en retard en matière de logements sociaux, qui veut participer à l’effort en matière d’énergies renouvelables, mais qui n’a pas de foncier, que peut-il faire ? Il pourrait demander qu’on ne lui applique pas les ‑50 % d’Enaf en 2031, avec une dérogation pour rattraper son retard, il discuterait avec l’État, avec la Région et il toperait pour un contrat qui pourrait s’appeler « contrat de sobriété foncière ». Dans ce scénario, on fait disparaître le ‑50 %, ce qui a été voté par la plupart des sénateurs. Ce n’est pas un open bar pour une artificialisation qui reprendrait son cours, c’est permettre des projets de territoire.
Évidemment, dans ce contrat, il y aura ce qu’on appelle des clauses d’ordre public, car on ne joue pas avec les zones inondables ni avec le sol vivant. Il peut même y avoir des clauses « guillotine » : si un maire ne respecte pas le contrat, il peut se voir appliquer des sanctions. Bien entendu, on va se donner des rendez-vous réguliers pour le suivi des contrats.
G. C. : L’un des grands avantages de cette proposition de loi, c’est qu’elle clarifie, responsabilise et remet de la confiance là où la loi actuelle est assez opaque, culpabilise et désigne des bons et des méchants. On réaffirme l’objectif de zéro consommation d’Enaf en 2050, mais encore faut-il reposer les règles, avoir des définitions les plus précises possibles de ce qu’est une enveloppe urbaine, une dent creuse, etc., et quels travaux on peut mener à l’intérieur de ces définitions. Parce qu’il y a énormément de différences entre les départements, les sous-préfectures, les DDT [directions départementales des territoires], avec des préfets ou des sous-préfets plus ou moins souples, ou plus ou moins dirigistes.
Et ce que l’on arrive à clarifier et définir comme objectif et comme modalité pour les collectivités, on demande à l’État d’en faire de même. C’est normal que l’État aménage son territoire, c’est nécessaire. Mais dans ce cas-là, qu’il s’applique à lui-même ce propre décompte et qu’il ne l’impose pas aux territoires, parce qu’on oppose alors les territoires les uns aux autres, les régions les unes aux autres. Il en résulte une espèce de déterminisme géographique qui ne tient pas compte de ce qui pourrait advenir pour les trente prochaines années, ce qui est impensable intellectuellement.
Propos recueillis par Timothée Hubscher et Rodolphe Casso
Lire la suite de cet entretien dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique