Thibault Tellier : « Le pouvoir municipal est affaibli »

Thibault Tellier est professeur d’histoire contemporaine à Sciences-Po Rennes, chercheur associé à la chaire Territoires et mutations de l’action publique, adjoint au maire de Roncq (Nord) en charge de l’éducation et de la culture. Pour la revue Urbanisme, il analyse les évolutions du pouvoir des maires et des élus locaux dans un contexte de métropolisation et de perte de leviers financiers.

 

Pensez-vous qu’il existe un déficit des élus locaux en matière de connaissance de l’échelon municipal ?

Depuis deux ou trois mandats, nous avons rompu avec une tradition assez bien ancrée en France qui consistait à choisir les candidats au sein des partis politiques. À ce titre, ils avaient été formés à l’interne sur le fonctionnement d’une municipalité. À partir du moment où les partis n’ont plus joué ce rôle pédagogique, les têtes de listes ont eu plus de mal à trouver des personnes qualifiées sur ces questions. Sachant que, dans ce laps de temps, l’action publique s’est grandement complexifiée, avec l’émergence des intercommunalités, des métropoles, où se prennent des décisions sur de nombreux sujets autrefois réservés aux maires. Sans parler des nouveaux dispositifs comme les SCoT [schémas de cohérence territoriale, ndlr], les PLU [plans locaux d’urbanisme] intercommunaux… Il y a aujourd’hui une fracture entre les élus locaux et les échelons intercommunaux, d’autant que ces institutions ne sont toujours pas élues au suffrage universel et ne produisent pas de programmes définis comme tels. Ceci entretient un certain flou artistique en matière d’échelons de décisions. Il en résulte un pouvoir municipal relativement affaibli, alors qu’il était historiquement le socle de notre démocratie contemporaine (la République des maires, comme on disait durant la IIIe République). Enfin, il faut ajouter le retrait de l’État. Sur le plan financier, bien sûr, mais aussi en matière d’appui méthodologique aux maires, en particulier ceux qui, par la taille, sont dépourvus de services techniques dédiés.

Pourtant, dans cette même période, la loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) a été votée, censée simplifier l’action des élus et renforcer le pouvoir réglementaire des collectivités…

À titre personnel, je ne connais pas d’élus qui constatent que les choses se sont simplifiées depuis cette loi… C’est plutôt le contraire. C’est peut-être moins compliqué dans les grandes villes, qui disposent de nombreux services, mais dans celles de moins de 5 000 habitants, où les élus n’ont pas d’appui en termes de juridiction et de réglementation, c’est très compliqué de s’y retrouver. Ils se retrouvent pris entre le marteau et l’enclume avec, d’un côté, l’injonction des intercommunalités et, de l’autre, l’État qui resserre ses juridictions. Or, quand les habitants soulèvent un problème, par exemple pour la restauration scolaire, les parents ne vont pas demander des comptes à l’échelon intercommunal – qui n’est là que sous la forme d’impulsions – ni aux services de la préfecture. Ils se tournent naturellement vers la mairie, alors qu’elle est finalement très peu décisionnaire. Le maire est de plus en plus exposé, soumis à la fois à des injonctions souvent contradictoires ainsi qu’à un discours technocratique parfois déconnecté du réel que les citoyens subissent au quotidien. On constate également un épuisement de la représentation de l’État au niveau territorial. Les services déconcentrés ne sont plus en capacité de jouer un rôle d’appui technique auprès des élus locaux. Les DDE (directions départementales de l’Équipement) qui disparaîtront entre 2006 et 2009 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), jouaient souvent ce rôle. Il y avait même, dans un certain nombre de cas, une réelle complicité entre l’ingénieur des Ponts et le maire.

Le dossier des ZFE [zones à faibles émissions] est un bon exemple du décalage qui existe aujourd’hui : on voit bien que cette loi n’a pas été discutée avec les élus locaux. À Lille, la Métropole seule a lancé le sujet, qui a été ensuite soumis pour avis au vote des conseils municipaux, d’où a émergé une majorité de « non ». Il a donc fallu revenir en arrière. Comme au niveau national d’ailleurs. Il y a un vrai problème de débat et de mise en partage de l’information. J’ajouterais que le conseiller municipal de base connaît aussi peu la métropole que les habitants… alors qu’en tant qu’élu local, il devrait être une courroie de transmission.

Dans ce contexte, où l’élu local est-il encore fortement décisionnaire aujourd’hui ?

Il est devenu, en quelque sorte, un élu de la gestion de la vie quotidienne, qui assure les services de proximité. Le maire a perdu la dimension prospective de son propre territoire. Celle-ci se joue désormais au sein de l’intercommunalité, au-delà des frontières communales. D’ailleurs, c’était un peu l’objectif, puisque le fait de compter 35 000 communes pouvait apparaître comme un frein à la vision prospective. C’était une sorte de contournement de l’émiettement communal.

Il y a, en effet, quelques bénéfices à lister quant à la constitution des intercommunalités…

Bien sûr : la métropole a une puissance de frappe que n’a pas une commune, sauf celles qui dépassent les 800 000 habitants. Dans ma propre commune, à Roncq [Hauts-de-France], de récents travaux pour refaire une rue se sont élevés à plus d’un million d’euros ; un montant pris en charge par la Métropole européenne de Lille. La mise en œuvre d’un réseau de chaleur, par exemple, essentiel dans le cadre de la transition écologique, ne peut venir que de l’échelon intercommunal. Certes, les travaux ont permis de rénover le réseau d’égouts, les luminaires, etc. À l’échelle municipale, on ne peut plus le faire, faute de budget. Les sommes engagées relèvent plus d’une comptabilité métropolitaine que municipale. Cependant, là où je suis beaucoup plus dubitatif, c’est la capacité des exécutifs métropolitains à partager leurs projets pour l’avenir avec les élus municipaux. Il y a là une faiblesse en termes de représentation démocratique. Les maires restant la courroie de transmission auprès de la métropole, où ils ont souvent choisi leurs représentants, les choix ne se font pas toujours selon des critères très transparents.

Propos recueillis par Rodolphe Casso 

Lire la suite de cet article dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique

Couverture : Lila Castillo 

Photo : Thibault Tellier, crédit : D. R. 

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