Au marché des métropoles. Enquête sur le pouvoir urbain de la finance
Antoine Guironnet
Éditions les étaques, Ronchin, 2022, 216 pages, 12 euros
Le cinéma a son festival, l’immobilier a son Mipim. Créé il y a trente-deux ans, à Cannes, par Reed Midem, le Marché international des professionnels de l’immobilier annonce généralement le printemps. Cette année, il est permis d’en douter. L’attractivité jadis tant vantée est, en effet, perçue sur un mode bien plus nuancé au fil des crises que nous avons traversées depuis cinq ans. Pourtant, la lettre d’information de la FNCAUE annonçait fièrement, le 9 mars 2022, sa présence au Palais des festivals. Mais quelle mouche a donc piqué ces courageux pionniers de la ruralité ? L’Ordre des architectes y était aussi, sous la bannière « France architecture », sur le stand financé par notre ministère de la Culture, soutenu par l’Afex, la MAF, l’association AMO, le Réseau des Maisons de l’architecture… On se lève tous pour le Mipim ! François Hollande y a même prononcé un discours de rentrée, mais nous avait-il quittés ? Au début des années 2000, quelques architectes s’y rendaient en cachette, aujourd’hui c’est un passage obligé pour nombre d’entre eux. Le ticket d’entrée individuel, lorsque l’on est obligé de l’acquitter, s’élève pourtant à 1 000 euros, badge compris. Cet engouement est indissociable d’une financiarisation de l’immobilier qui n’a cessé de s’intensifier depuis le début des années 2000, malgré le (bref) coup d’arrêt de 2008.
Ce processus, Antoine Guironnet nous le raconte brillamment, scène et coulisses, en considérant le Mipim non pas comme le reflet d’un processus qui le dépasse, mais comme participant directement de sa production. La lecture est passionnante, plus vivante en tout cas que celle des nombreux « traités » plus ou moins théoriques et un peu désincarnés parus ces dernières années sur la fabrique de la ville néolibérale. C’est un peu « choses vues au Mipim » ou « scènes de la vie cannoise immobilière » pour un prix modique de 12 euros. Bénéficiant d’une enquête au long cours, l’information est dense et remarquablement mise en perspective. L’auteur, chercheur au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences-Po, conjugue avec fluidité les niveaux d’analyse et maîtrise toujours ses montées en généralité. Il sait également procéder à quelques rappels historiques à chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Le propos est enlevé et n’a rien de pontifiant, posant même, par petites touches, juste ce qu’il faut d’ironie distanciée entre un Just Dijon et un Only Lyon. Quelques extraits du tableau du stand de Londres suffisent pour s’en convaincre. Ils ravivent au passage les origines d’un triste « londonistan » qui n’est pas né du hasard : « Représentée dès les premières éditions, la capitale britannique bénéficie rapidement d’une certaine aura sur le salon. Elle fait figure d’exemple en matière d’internationalisation […] Une ouverture et un dynamisme immobilier incarnés par les deux maires successifs, le travailliste Ken “le rouge” Livingstone, puis le conservateur Boris Johnson, qui fréquentent assidûment le salon. Surtout, elle frappe les esprits par l’aménagement de son stand, qui est l’un des premiers à accueillir une grande maquette […] Et les promoteurs anglais de toutes les grandes boîtes de promotion et de construction étaient là pour expliquer : “Là, c’est moi qui vais faire ça […]”, ça s’allumait, “Je vais aménager ici. Non mais imaginez, imaginez !” […] Il fallait voir comment Boris Johnson montait sur une estrade pour commenter la maquette de Londres, en pointant les sites avec une baguette […] Reed Midem érige Londres en argument commercial [… et] organise par exemple des rencontres avec les représentants de la ville de Paris pour les sensibiliser à cette formule ». Le chapitre consacré au « Grand Paris » est d’ailleurs au diapason.