Bifurcations. Réinventer la société industrielle par l’écologie ?

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Bifurcations. Réinventer la société industrielle par l’écologie ?

Pierre Veltz
(L’Aube, 2022, 240 pages, 18,50 euros)

L’art de la syn­thèse pour se pro­je­ter dans un ave­nir moins sombre, avec une feuille de route réa­liste, voi­là le pro­pos du nou­vel ouvrage de Pierre Veltz, qui pour­suit son entre­prise écologico/économico/industrialo/socio/urbaine, après L’Économie dési­rable¹ ; cela en basant l’ouvrage sur des don­nées scien­ti­fiques fortes et en échap­pant aux idéo­lo­gies et aux dogmes. Marier les sujets qui fonc­tionnent plus que jamais en silos défi­nit le tra­vail de l’auteur qui réa­lise la per­for­mance d’être à la fois cher­cheur et pra­ti­cien, éco­no­miste lau­réat du Prix du livre d’économie en 2017 et Grand Prix de l’urbanisme la même année. Bifur­ca­tions com­mence par mettre en cause le terme sacré de « tran­si­tions », car il s’agit d’une rup­ture de tra­jec­toire avec un sys­tème entiè­re­ment basé sur les éner­gies fos­siles, en pariant sur le renou­veau de l’industrie, la jus­tice sociale et, sur­tout, sur la recherche de sens en direc­tion des jeunes qui rejettent les bull­shit jobs et refusent le finan­ce­ment des grandes écoles par les grandes entre­prises, accu­sées de détruire la planète.

Impos­sible de résu­mer les mul­tiples ensei­gne­ments et pistes d’action (car Pierre Veltz est un maker…), mais on peut retra­cer la trame géné­rale. L’auteur s’interroge d’abord sur les formes futures de l’industrie décar­bo­née, com­bi­nant de nou­velles formes de pro­duc­tions très locales, arti­sa­nales, numé­riques ou low-tech, mais aus­si de nou­velles formes de glo­ba­li­sa­tion : « Un immense champ de créa­tion, qui s’offre aux nou­velles géné­ra­tions. » Il sou­ligne le risque de voir cette indus­trie se concen­trer dans les pays les plus avan­cés et la néces­si­té de « mettre les pays émer­gents pauvres dans les boucles du déve­lop­pe­ment mon­dial ».

Il aborde ensuite la dia­lec­tique entre effi­ca­ci­té et sobrié­té, qui impose une trans­for­ma­tion de l’organisation col­lec­tive de nos socié­tés, notam­ment de l’urbanisme, et pas seule­ment des com­por­te­ments indi­vi­duels. S’agissant du loge­ment et des mobi­li­tés, il plaide pour une vision ouverte allant au-delà des comp­ta­bi­li­tés étri­quées de l’impact car­bone, pour rap­pe­ler que ce sont des com­po­santes cen­trales de nos exis­tences et de nos iden­ti­tés. Enfin, il ouvre la réflexion sur la nature de la socié­té future dési­rable, en par­ti­cu­lier sous l’angle du tra­vail, thé­ma­tique trop sou­vent enfouie sous les consi­dé­ra­tions tech­niques de la décar­bo­na­tion. L’ouvrage, ain­si, n’oublie aucune des dimen­sions qui peuvent agir sur une situa­tion jugée déses­pé­rée par beau­coup. Mais son autre spé­ci­fi­ci­té est de dis­tin­guer les tem­po­ra­li­tés : que pou­vons-nous faire tout de suite, car le stock de CO2 doit impé­ra­ti­ve­ment ne pas conti­nuer à s’aggraver ? Et que pré­pa­rer pour l’avenir ? À son sens, la ques­tion éner­gé­tique peut trou­ver des réponses immé­diates avec les tech­niques actuelles, en s’attaquant en prio­ri­té aux sec­teurs émet­teurs lourds (trans­ports, bâti­ments, indus­trie, agriculture).

Agir sur le « modèle urbain fran­çais » tel qu’il existe, pren­dra du temps pour remo­de­ler ce que les très bas coûts du pétrole ont pro­duit. Il faut donc, très vite, réorien­ter le tir par une pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique et spa­tiale réinventée.
Agir tout de suite et pré­pa­rer l’avenir à toutes les échelles, selon toutes les tem­po­ra­li­tés et sur tous les sujets concer­nés, en mariant le local et le glo­bal, s’impose, ain­si que la lec­ture de ce livre opti­miste et réa­liste, riche de pistes pour tous les acteurs et tous les lecteurs.

Ariel­la Masboungi

1/L’Économie dési­rable. Sor­tir du monde ther­mo-fos­sile, coll. « La Répu­blique des idées », Seuil, 2021. Lire la recen­sion dans Urba­nisme, n° 421, juin-juillet-août 2021, p. 76.

 

 

 

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