Laurie Lassalle
JHR Films, actuellement en salles
En cet été 2022, alors que le mouvement des « gilets jaunes » semble au point mort – ou tout du moins sorti des radars de l’actualité puisque d’autres faits majeurs ont depuis occupé notre temps de cerveau disponible (Covid-19, guerre en Ukraine, élections présidentielle et législatives), un nouveau film s’empare courageusement du sujet. Cependant, le documentaire Boum Boum, de Laurie Lassalle, pourrait rebuter au premier abord. En effet, Après J’veux du soleil, de François Ruffin et Gilles Perret, La Fracture, de Catherine Corsini, ou Un peuple, d’Emmanuel Gras (lire Urbanisme, n° 424), avait-on encore besoin d’un énième geste cinématographique sur les « gilets jaunes » ? On était tenté de dire que non. Et pourtant…
L’ambition de Laurie Lassalle est double. Bien sûr, il y a l’observation d’un phénomène de société majeur qui se déroule sous ses yeux et l’attire comme un aimant, chaque samedi, quitte à prendre des risques. Mais, et c’est là le vrai sujet du film, il y a aussi l’histoire d’une rencontre avec un homme, au milieu du bruit et de la fureur, qu’elle va décider de suivre, jusqu’à en tomber amoureuse. Boum boum, c’est le son des cœurs qui battent aussi fort que celui des grenades.
Pierrot est coiffeur. Ce jeune gaillard aux yeux doux, tatoué comme un taulard, est de toutes les manifestations, toujours en première ligne. Alors que les CRS chargent, que la foule gronde, que les explosions retentissent, une romance se noue entre lui et Laurie, sous nos yeux, comme dans ces films de guerre ou la mort qui rôde pousse les amants à s’aimer plus fort et plus vite. Laurie n’a de caméra que pour lui. Elle admire cet homme qui s’engage et prend des risques. Lui admire cette jeune cinéaste éduquée qui pourrait se contenter de tourner un film Nouvelle Vague mollasson loin de la brutalité des évènements.
Ensemble, Pierrot et Laurie savent écouter les gens. Et des gens, en ces samedis furieux, il y en a plein les rues : un petit-fils de FTP (Francs-tireurs et partisans), un royaliste, un anarchiste, un marxiste, des étudiants, des grands bourgeois du 16e… Ça parle utopie, socio, philo ou économie sur le trottoir. Tous ont des choses à se dire, tous ont besoin de se comprendre, tous ne sont pas d’accord. Mais quelque chose les pousse irrésistiblement dans la rue. On retiendra les propos de ce jeune homme qui se dit d’origine arabe : « Si un gars du FN tombe sous mes yeux, je lui tends la main pour l’aider à se relever. Bravo Macron, tu as réussi à unir l’extrême droite et l’extrême gauche ! »
Et toujours, les explosions et les jets de lacrymo rythment le film comme des figures imposées, comme des refrains. Des gens tombent, du sang coule, Pierrot lui-même est touché au tibia par un tir de flash-ball (les blessures montrées sont effrayantes). Et alors que la lutte s’essouffle et que la lassitude se fait sentir, la cohésion entre nos deux amants s’étiole, elle aussi. Une passion née au milieu des brumes irritantes et des voitures en flamme ne saurait être soluble dans la vraie vie. Mais auraient-ils été capables d’affronter une telle violence si ce n’avait été ensemble ?