Ali Asgari et Alireza Khatami
ARP Sélection, actuellement en salle
Téhéran est l’une des villes du monde où il est le plus difficile de poser une caméra pour réaliser un film. Jafar Panahi en sait quelque chose, lui qui a souvent tourné dans la clandestinité, ce qui ne l’a pas empêché de faire de la prison ou d’être interdit de quitter l’Iran. De même pour Asghar Farhadi, cinéaste sous surveillance constante des autorités, abonné aux interrogatoires et à la censure. Récemment, le très bon polar Les Nuits de Mashhad (2022), d’Ali Abbasi, avait mécontenté le régime, qui avait fait pression sur le Festival de Cannes où il était sélectionné…
Des risques qui n’empêchent pas aujourd’hui Ali Asgari et Alireza Khatami de sortir Chroniques de Téhéran, un audacieux film à sketches. Un peu à la manière de Panahi qui a filmé l’intégralité de Taxi Téhéran (2015) dans un taxi, justement, les deux cinéastes ont imaginé un dispositif qui leur a sans doute permis de tourner en toute sécurité. Mais la première image est à ce titre trompeuse : un long panorama de la ville, avec les montagnes de l’Elbourz en toile de fond.
Ce sera la seule respiration du film, qui nous enferme ensuite dans des pièces : bureaux, magasins, guichets. Là, de simples citoyennes et citoyens tentent de se débattre face aux injonctions du régime. Car nos personnages ont tous maille à partir avec les autorités ou l’administration. Un homme se voit refuser par la maternité le droit d’appeler son fils David. Une femme doit prouver qu’elle portait bien son hijab en conduisant. Un chômeur se trouve obligé de montrer comment faire ses ablutions alors qu’il vient pour un simple entretien d’embauche. Une collégienne est accusée par sa directrice d’avoir flirté avec un garçon. Un cinéaste est sommé de couper des scènes essentielles à son film s’il veut obtenir l’aval des autorités (cela vous rappelle quelque chose ?).
Toutes et tous se débattent face à la suspicion permanente, au zèle des petits fonctionnaires, aux abus de position dominante, et même à la jouissance assumée du pouvoir. Et si les séquences sont à chaque fois mises en scène en plans fixes, sans que l’on ne voie jamais le visage des persécuteurs, c’est celui du régime qui finit par apparaître à travers eux. De saynètes en saynètes d’humiliations en infantilisation, un discours politique se dessine. On en connaît qui vont encore avoir des problèmes…
Rodolphe Casso