Élections de 2020
Démobilisation électorale dans la France urbaine
Les élections municipales de 2020
(Presses universitaires de Rennes, 2023, 264 pages, 24 euros)
Politiser l’intercommunalité ?
Le cas des élections locales de 2020
(Presses universitaires du Septentrion, 2023, 338 pages, 28 euros
Rémi Lefebvre et Sébastien Vignon (dir.)
Voici deux recueils d’études sur les dernières élections locales : les municipales de 2020 et ses effets sur les intercommunalités de France, qui viennent enrichir et actualiser la sociologie politique du « bloc communal » – communes et EPCI [établissement public de coopération intercommunale, ndlr] –, en proposant une géographie du vote urbain diversifiée dans les cas analysés (14 grandes villes françaises, et autant de grandes intercommunalités). Dirigés par les mêmes auteurs, mais rassemblant des politistes de tous horizons, ces deux ouvrages, à la fois complets et accessibles, permettent de mettre en perspective des élections proprement exceptionnelles, organisées dans un contexte sanitaire inédit, qui s’est notamment traduit par une abstention record.
Au-delà de la difficile tenue des scrutins (avec l’entre-deux-tours le plus long de l’histoire électorale française, de mars à juin 2020), les différentes contributions des politistes dégagent des enjeux nouveaux, liés à des évolutions politiques et institutionnelles, notamment l’écologisation des programmes et des offres électorales, la citoyennisation des listes (s’accompagnant d’une certaine démonétisation des marques partisanes) et la métropolisation des agendas. Les monographies municipales (Amiens, Avignon, Bordeaux, La Rochelle, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Paris, Reims, Rennes, Strasbourg et Toulouse) montrent en particulier que les configurations locales ont pu, plus ou moins fortement, faire varier ces dynamiques « sur le terrain » (fluidité des alliances électorales, poids des appareils partisans, hybridation des listes, homogénéisation de l’offre politique, prime aux sortants, etc.). Elles convergent néanmoins sur l’analyse sociologique d’une forme de « gentrification » de la démocratie urbaine, avec une abstention de plus en plus forte des classes populaires (les auteurs n’hésitant pas à parler d’un « cens urbain »).
Au niveau intercommunal, le « troisième tour » permettant, à partir du « fléchage » des élus communautaires sur les listes municipales (sauf à Lyon, où deux élections, municipales et métropolitaines, ont eu lieu concomitamment), d’élire les exécutifs au sein des EPCI, est, comme lors des élections de 2014 (les premières à l’expérimenter), resté complexe et donc faiblement politisé. Mais l’importance des enjeux politiques au sein de plusieurs grandes villes (Lyon, bien sûr, mais aussi Bordeaux, Grenoble, Lille, Strasbourg…), singulièrement s’agissant de logiques pas toujours convergentes entre la ville-centre et la périphérie urbaine, a offert une médiatisation nouvelle aux négociations post-élections municipales. De ce point de vue, et peut-être pour la première fois, certains enjeux intercommunaux (pourtant très technocratiques) ont pu apparaître de manière plus explicite, notamment la question des mobilités, en prévision des futures ZFE [zones à faibles émissions]. Bien que largement ignorés des électeurs, les exécutifs intercommunaux constituent des enjeux de pouvoir très disputés entre les différents acteurs politiques locaux. Cependant, les études réunies démontrent que si les EPCI ont été un peu plus identifiés au sein des débats municipaux de 2020 que lors des campagnes précédentes, les programmes des candidats restent toujours peu précis sur leurs prérogatives, au regard de celles des municipalités, mieux connues des électeurs, mais moins puissantes du point de vue fonctionnel.
Damien Augias