Andreï Schtakleff
À Vif Cinémas/The Dark,
actuellement en salles
Trois soixantenaires se tiennent à un carrefour, quelque part dans un quartier de Détroit. Ensemble, ils détaillent les commerces qu’ils ont connus du temps de leur jeunesse : bar, café, épicerie, boulangerie… Une bonne douzaine en tout. Pourtant, tout autour d’eux : rien. C’est tout juste s’il reste des maisons. Le quartier ne vit plus que dans leurs souvenirs. Le documentaire Detroiters dresse d’abord un constat entendu sur l’état de « Motor City » : une ville martyre de la désindustrialisation, puis de la crise des subprimes. La caméra ne se prive d’ailleurs pas de longs travellings dans lesquels défilent les pavillons délabrés et cernés d’herbes folles – des images que l’on ne connaît que trop bien. Les témoins de cette histoire, presque tous afro-américains, rappellent comment l’urbanisme était autrefois organisé de concert avec la ségrégation, cartes à l’appui, avec des quartiers entiers où les banques n’accordaient sciemment aucun emprunt. Puis comment les agents immobiliers ont peu à peu recomposé ces quartiers en achetant aux Blancs à bas prix leurs maisons pour les revendre plus cher aux Noirs.
Puis, le film revient à notre époque, alors que les logements laissés vacants par la crise reviennent pour la plupart aux promoteurs. Même si d’autres (en très mauvais état) sont parfois remis sur le marché. Un nouvel acquéreur nous fait la visite : la ville lui a cédé une maison « abandonnée » (certainement saisie à l’époque de la crise des subprimes) pour 2 000 dollars. Faut-il voir un signe dans le fait que cet homme, qui expose ses ambitieux projets de travaux sous un plafond lépreux, soit blanc ?
En attendant, les Noirs, une fois évacuée la nostalgie des « happy hours, happy times » – du temps où les usines Ford et GMC tournaient à plein régime et où le « capitalisme fonctionnait », s’organisent. C’est ainsi qu’un projet porté par une église locale (le film rappelle aussi comment l’Église afro-américaine reste ici un pilier de la lutte pour les droits civiques), explique sa stratégie pour récupérer des terrains et construire des maisons révolutionnaires. Une responsable du projet explique : « Avec des imprimantes 3D, on peut construire de petites maisons de 80 à 90 m2 en 46 heures. » Chacune disposerait d’un commerce adjacent et serait équipée de panneaux solaires, de géothermie et d’un système de collecte des eaux. L’idée étant de fixer leur prix à 20 000 $. Ainsi les membres d’une communauté, faute d’appui des pouvoirs publics, s’improvisent-ils urbanistes. Peut-être pour le meilleur.