Détruire les villes avec poésie et subversion « Désurbanisme », fanzine de critique urbaine (2001–2006)
Ouvrage collectif
Le Monde à l’envers, 2022, 552 pages, 16 euros
ntitulé très sobrement Détruire les villes avec poésie et subversion, ce pavé de quelque 552 pages compile l’intégrale du fanzine parisien Désurbanisme, en activité (disons plutôt « en liberté ») entre 2001 et 2006. Cet ovni éditorial déroule ainsi les 21 numéros de cette publication Do-It-Yourself (5 numéros par an), photocopiée en son époque à quelques centaines d’exemplaires. Pendant cinq années, ces joyeux révolutionnaires ont cultivé dans leurs pages mal reliées l’ambition de « nourrir la critique de l’urbanisme, sur le front de la théorie comme celui de la pratique, en l’insérant dans une critique des rapports sociaux capitalistes ». Dans sa note introductive, l’éditeur grenoblois Le Monde à l’envers (dont on découvre ici le travail remarquable) précise : « Ce n’est pas LA ville que Désurbanisme entend détruire ; mais l’organisation capitaliste de la ville. “Détruire les villes” doit alors s’entendre comme “les dépasser”. »
Dans cet ouvrage nécessairement en noir et blanc (la couleur était alors bien trop chère, donc bien trop bourgeoise), on découvre un panaché de formes d’expression variées : dessins, bandes dessinées, photos, planches contact, collages, schémas psychédéliques, gribouillages… Et, surtout, des articles presque toujours entièrement rédigés à la main (le traitement de texte étant à ranger aux côtés de la couleur). Ces œuvres punk répondent au nom de « Lettre aux villes qui s’aseptisent », « Les gratte-ciel par la racine », « Et si on vivait la ville tout‑e nu‑e » ou encore « Manifeste de la moisissure contre le rationalisme dans l’architecture ». Force est de constater que les sujets traités dans le fanzine il y a vingt ans sont devenus aujourd’hui centraux : démocratie locale, mobilités douces, remise en cause du règne automobile, décarbonation des logements, végétalisation, jardins collectifs, télésurveillance, métropolisation… On y est.
Outre son contenu plus sérieux sur le fond que sa forme ne le laisse croire, Détruire les villes… renoue avec un esprit Charlie ou Hara-Kiri de l’époque pré-PAO (publication assistée par ordinateur), avant que les blogs et les réseaux sociaux ne précipitent la pensée critique dans l’instantanéité, avec un manque cruel de recul et d’aventure collective. On ne saurait vous recommander plus chaudement cet objet très beau et très drôle qui a, de surcroît, le bon goût de ne coûter que 16 euros.