Frontières Le traité de Lausanne, 1923–2023
Gaby Fierz, Laurent Golay et Diana Le Dinh (dir.)
(Antipodes, 2023, 120 pages, 19 euros)
Issu de l’exposition du centenaire au Musée historique de Lausanne (du 27 avril au 8 octobre 2023), ce beau catalogue montre les photographies, cartes et documents rassemblés au sujet de la Conférence pour la paix en Orient, qui s’est tenue au bord du lac Léman, en terrain neutre, pendant plusieurs mois, jusqu’à la signature du traité de Lausanne, le 24 juillet 1923.
Cet accord international, près de cinq ans après la fin des hostilités de la Grande Guerre et quatre ans après la conférence de Paris (traités de Versailles entre les Alliés et l’Allemagne, de Saint-Germain-en-Laye avec l’Autriche, de Neuilly avec la Bulgarie, du Trianon avec la Hongrie et de Sèvres avec l’Empire ottoman), met un point final au règlement du premier conflit mondial en reconsidérant le sort de la Turquie post-impériale après la prise de pouvoir de Mustafa Kemal, dit Atatürk.
Au-delà de ses implications géopolitiques, cet ouvrage a le très grand mérite de témoigner de l’importance pour une ville comme Lausanne – alors peuplée de 70 000 habitants – d’accueillir pendant de longues semaines un très grand nombre de diplomates, de journalistes et d’observateurs (dont le futur Prix Nobel, Ernest Hemingway), perpétuant la tradition d’une Suisse des « bons offices » mettant à disposition un lieu de négociation internationale (sachant que la jeune Société des nations avait alors son siège à Genève).
Les belles photographies montrent les différentes délégations, notamment celle menée par Lord Curzon pour le Royaume-Uni, posant devant les palais et hôtels de la cité helvétique (château d’Ouchy, casino de Montbenon, Hôtel de la Paix, palais de Rumine, où sera signé le traité final).
Réunis autour de la table des négociations, les alliés occidentaux, sortis vainqueurs de la Première Guerre mondiale, en vinrent à redessiner les frontières d’un nouvel État turc aux confins du continent (le « Proche-Orient »). Mais ce que montrent également ce catalogue et cette exposition, c’est la manière dont ces frontières ont été tracées, souvent au mépris des populations et, en particulier, en « oubliant » le peuple kurde. En définitive, un siècle après, le constat reste très actuel : lignes de démarcation politiques, les frontières cloisonnent, séparent, excluent et cantonnent, façonnant à la fois les identités nationales et les zones de conflictualité.
Damien Augias