Humus
Gaspard Koenig
prix Jean Giono 2023
(Les éditions de l’Observatoire, 2023, 384 pages, 22 euros)
C’est l’histoire d’une rencontre inscrite dans notre époque incertaine et enracinée dans un sous-sol empli d’une vie débordante de calme, volupté et utilité. Celle de deux étudiants ingénieurs à AgroParisTech – que tout oppose et opposera –, lors d’une conférence consacrée aux vers de terre.
Humus est un roman balzacien, cela n’a échappé à personne, qui explore les âmes des jeunes élites, partagées – face aux désastres qui viennent, et selon leurs extractions – entre la réalisation techno-digitale (devenir une licorne) et la quête de sens commun (bifurquer). Un roman houellebecquien aussi, ce qui a moins été relevé par la critique, autant pour les sujets – lutte des classes, rapports entre les hommes et le monde animal, écologie politique et apocalypse… –, que pour le style, emphatique et désaffecté, salement drôle aussi.
Il y est question de nos paradoxes, communs et respectifs : AgroParisTech implanté sur les anciennes terres agricoles du plateau de Saclay, la dépendance digitale des militants écologistes…
Si bien qu’on en vient à se demander si cette dualité amicale et la vitalité myriadesque des vers ne sont pas l’allégorique mise en abîme de Gaspard Koenig lui-même. N’hésite-t-il d’ailleurs pas à faire apparaître son avatar lors de diverses scènes mondaines ? Avec lui, nous nous demandons ce que valent nos choix et nos combats, ce que sont les destins des collaborateurs de la nouvelle et brutale économie mondialisée, et ceux des objecteurs de conscience rurale confrontés aux réalités réactionnaires du terrain.
Les deux héros suivent des trajectoires elliptiques : tandis que l’un, sans ancrage ni détermination, se perd jusqu’à aimer physiquement la terre, l’autre dérive du ressentiment à l’insurrection. La critique acerbe de la reproduction sociale et de l’emprise du consulting au service d’une finance avide des deux côtés de l’Atlantique se frotte à celle de la paysannerie, ancienne et nouvelle.
Humus est une fresque de Sienne littéraire, dépeinte avec un style rare. Le testament d’un homme décidé à rester vivant.
Julien Meyrignac