Ana Vaz
The Dark, actuellement en salle
Née en 1986 dans le plateau central brésilien, la réalisatrice Ana Vaz qui se définit comme « nomade », parcourt le monde pour filmer l’invisible. Avec seize courts métrages à son actif, son travail artistique ne se limite pas à la bobine, et assume une diversité de formes d’art : écriture, pédagogie critique, marches collectives ou encore installations. Elle retourne ici dans son pays natal pour mettre en lumière le vivant qui entoure nos métropoles, pris en étau par l’activité humaine. C’est en déambulant dans les alentours de la capitale brésilienne que l’idée a éclos. « J’ai découvert des cadavres d’animaux sauvages qu’on ne voit habituellement pas en ville. Le premier étant un bébé fourmilier que j’ai trouvé à côté d’une route. Je ne savais pas comment faire le deuil de ce corps, dont j’avais l’impression qu’il me demandait quelque chose : l’enterrer, l’emmener ailleurs, lui consacrer un rite ? » Ce choc l’incite à mener une enquête au cours de laquelle elle dénombre plus de 450 cadavres d’animaux autour de Brasilia.
Il fait nuit en Amérique est aussi, et surtout, une fable politique. Profondément heurtée et scandalisée par le mandat présidentiel (2019–2022) du climatosceptique Jair Bolsonaro, la réalisatrice alerte sur les conséquences d’une politique écocide.
Tournée pendant la pandémie de Covid, Ana Vaz inverse le raisonnement qui considère le retour de l’animal dans les villes durant cette période comme une conséquence de la non-présence humaine. Au contraire, elle le présente comme le résultat de la destruction de leur milieu de vie par l’Homme. Fait étonnant, 90 % des animaux du zoo de Brasilia sont des animaux rescapés ; de lieu de détention, il se transforme en lieu de refuge et de soin.
L’atmosphère du film, inquiétante et captivante, est accentuée par un fort parti pris sonore : à l’exception de quelques appels téléphoniques, elle laisse le champ libre aux sons animaliers.
Grâce à la technique de la nuit américaine, qui consiste à sous-exposer une image tournée de jour pour faire croire à une scène nocturne, les gratte-ciel de la capitale administrative – érigée de toutes pièces comme une utopie démocratique en 1957 – se transforment par ce bleu poétique. Enfin, l’utilisation du zoom extrême permet d’inverser les échelles pour créer un sentiment de domination de l’animal sur l’homme.
Une ode silencieuse et quasi mystique au réensauvagement des villes.
Maider Darricau