Immigration et ségrégation spatiale. L’exemple de Marseille
Marc Angélil, Charlotte Malterre-Barthes et Something Fantastic (dir.)
(Coll. « Architectures », Parenthèses, 2022, 288 pages, 26 euros)
L’immigration induit-elle de manière inévitable un phénomène de ségrégation sociospatiale ? Être ville d’accueil rime-t-il avec identité clichée, désordre urbain, quartier ethnicisé replié sur lui-même ? Cela provoque-t-il des formes urbaines spécifiques ? Ce sont à ces questions que tente de répondre ce livre, en prenant l’exemple de Marseille. Un livre-objet, tant son format, ses couleurs, ses pleines pages portfolio photographiques et planches d’axonométries tranchent avec les habitudes de la sociologie urbaine.
C’est un livre jeu de miroirs, immersif qui prend le pouls de la diversité, des formes urbaines et des images véhiculées à l’intérieur, mais aussi en dehors de Marseille. Il vient rappeler sa géohistoire qui explique la ségrégation actuelle, autour du schéma que tout le monde connaît : au sud de la Canebière, les quartiers « favorisés » et, au nord, ceux qui le sont moins. Le rapport à la mer, le caractère ville-port ont fait de Marseille une porte d’entrée et un point d’accroche pour des milliers de travailleurs immigrés.
Par vagues successives, ils s’installent au plus près de l’emploi, dans des cités de transit, précaires, isolées dans les formes urbaines, car ils sont accueillis, avant tout comme une main‑d’œuvre à titre provisoire. Des quartiers d’arrivées se créent. Ils polarisent ces personnes qui y retrouvent des réseaux et des systèmes d’entraide. L’affaire se durcit, avec l’accroissement du besoin de main‑d’œuvre post-Seconde Guerre mondiale, les rapatriés d’Algérie, le regroupement familial. Les besoins en logements sont conséquents. C’est là qu’il vient croiser échelles temporelle, spatiale et décisions politiques.
De manière pédagogique, il questionne les politiques en termes d’habitat, tout en mettant en perspective, à coups de cartographie, les effets durables sur le grand territoire. Il ne s’arrête pas à une simple relecture du passé et s’ancre dans les dynamiques actuelles de renouvellement urbain et de spéculation immobilière, qui induisent une forme d’exclusion du temps présent : la gentrification. Dense et académique, la dernière partie est le seul bémol de cet ouvrage. La question posée, « Comment planifier l’inclusivité ? », revient à une succession de concepts architecturaux, largement dessinés, peu contextuels, qui s’écartent du signal envoyé tout au long du livre : la nécessité de prendre en compte l’humain avant le geste urbain.
Elias Sougrati