Wang Bing
Les Acacias, actuellement en salle
Le réalisateur chinois Wang Bing, qui a conquis le cinéma européen par un documentaire sur les derniers jours d’une zone industrielle en 2002 (À l’Ouest des rails), revient avec le premier opus d’une saga documentaire consacrée à la jeunesse chinoise. Entre 2014 et 2019, il a compilé 2 600 heures de rush en filmant les ateliers textiles de Zhili, petite ville du delta de Yangtsé, à 150 kilomètres de Shanghai.
Chaque année, ce sont 300 000 ouvriers migrants qui travaillent dans les 20 000 ateliers de la ville et confectionnent environ 90 % du textile destiné aux enfants. « J’ai trouvé une véritable jungle d’ateliers distribués le long de ruelles en damier. » Wang Bing raconte l’histoire d’une ville à rebours du système chinois.
« Ce qui caractérise cette industrie, c’est qu’elle ne s’appuie pas sur un investissement public d’État. Tout est financé par des particuliers qui s’associent et se soutiennent mutuellement. C’est donc une industrie qui puise ses racines dans la population à la différence d’autres industries chinoises. […] C’est le seul endroit que je connaisse en Chine où c’est possible. »
Sans surprise, les horaires de travail sont astreignants : de 8 heures à 23 heures, avec un soir de repos chaque semaine. C’est un quotidien morose et surtout non choisi qu’expose à la scène internationale le réalisateur. En effet, ces jeunes, pour la plupart dans la vingtaine, ont peu de marge de manœuvre pour prendre en main leur destinée.
Ces « ouvriers-paysans » venus de régions rurales pauvres sont confrontés à des lois étatiques qui interdisent les déménagements dans des villes ou des régions plus riches, sous peine de perdre certains droits sociaux (sécurité sociale, éducation…). Ainsi, le travail dans une usine devient le moyen le plus rapide de gagner de l’argent pour fonder sa famille dans le village. Il y a, bien sûr, quelques revendications salariales, mais l’on comprend que les patrons de ces ateliers ne sont pas plus aisés que leurs employés.
Le documentaire interpelle par cette antinomie entre des conditions de vie délétères et une hyperconnexion au monde global par le numérique. Wang Bing propose une immersion volontairement lente dans la réalité d’une jeunesse qui s’échine à l’ouvrage, passant le peu de temps libre dans une cité-dortoir insalubre, où le flirt et l’amitié composent ces brefs moments de répit.
Maider Darricau