John Mill et ses voisins. Des gens, des arbres et du goudron
Jean-Pierre Charbonneau
(Éditions de l’Aube, 2023, 176 pages, 18 euros)
Voilà un livre réjouissant qui parle d’urbanisme sans en parler, et pourtant, c’est l’œuvre d’un urbaniste chevronné qui a consacré sa vie à la reconquête des espaces publics, de la métropole lyonnaise à la ville de Saint-Étienne, en passant par Montpellier et bien d’autres territoires. Et il a su œuvrer autant dans une forme de luxe qu’avec parcimonie, cela en mobilisant les acteurs qu’il a su respecter dans leur professionnalité et quant à leurs apports. Mais cet urbaniste, ici rebaptisé John Mill, agit en voisin et concentre son énergie dans une rue parisienne banale, jamais nommée, longée de commerces, qui accueille des SDF, des réfugiés, loge des gens ordinaires.
Rien d’exceptionnel et pourtant si, car la rue fait de l’empowerment [autonomisation, ndlr] avec le soutien discret, respectueux mais savant de « John Mill ». Cette histoire, faite de nombreuses anecdotes, s’étend sur plusieurs années où nombre d’initiatives, qu’on qualifierait d’écologistes avant la lettre, mais surtout de coproductions, d’accueil de créativités diverses, se déroulent paisiblement. Bien écrit, souvent cocasse, le récit révèle les absurdités de la gestion administrative de toute ville, la non-prise en considération de la spécificité de chaque espace urbain et de son vécu, ainsi que le frein à toute initiative pourtant en prise sur l’époque, située, intelligente et économe pour la ville.
Le texte de Jean-Pierre Charbonneau parle de valeurs communes aux habitants, qu’ils soient privilégiés ou non, qu’ils soient français, africains ou autres, qu’ils soient habitants, usagers ou commerçants. Rien n’est caché sur les conflits, les échecs, les découragements, mais aussi l’enthousiasme, les petites transformations porteuses d’aménités, et plus que tout, le plaisir de « l’urbaniste » utilisant tout son savoir pour réinventer sa compétence dans un exercice de coproduction qui dépasse de beaucoup tout ce qu’on qualifie de la sorte. La qualité d’écoute et de dialogue est une des grandes leçons de l’ouvrage, bien utile de nos jours, et amène à revisiter le sens du métier d’urbaniste. Un livre jubilatoire !
Ariella Masboungi