Vadim Dumesh
Tangente Distribution, actuellement en salle
À l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, la « base arrière taxis » (BAT) est un lieu de transit pour les chauffeurs parisiens venus charger des voyageurs, souvent au prix d’une longue attente. Ils s’appellent Ahmed, Jean-Jacques ou Kham, sont ici comme chez eux, et forment une communauté de fortune, extrêmement cosmopolite. À la « base », qui peut accueillir jusqu’à 1 500 véhicules, on parle français, arabe, khmer ou laotien, et on sait tuer le temps : terrain de pétanque, potager improvisé, agrès, table de ping-pong, tapis de prière, jeu de dames, bazar clandestin…
D’autres préfèrent parfois s’isoler dans leur véhicule – leur domicile sur pneumatiques –, pour pratiquer la trompette, jouer de la guitare, se faire un petit karaoké, ou même jouer les influenceuses comme Madame Vong – l’une des rares chauffeuses de cet univers extrêmement masculin – qui prouve par l’image qu’on peut nettoyer sa Toyota avec seulement une demi-bouteille d’eau.
Pour mieux montrer cet univers totalement inconnu du grand public, le réalisateur Vadim Dumesh – qui a fréquenté la base plusieurs années – a demandé aux chauffeurs de filmer leur vie eux-mêmes, avec leur smartphone. À travers ces images intimes, drôles, touchantes, le parking géant où stationnent des voitures par centaines, toutes rehaussées de leur lumineux paré de vert (comme « libre »), nous apparaît telle une ville informelle, un non-lieu réapproprié, parfois même un camp de réfugiés.
Entre ces moments très vivants en caméra embarquée, le réalisateur insère des séquences plus cinématographiques d’un Roissy vidé par la pandémie de Covid-19, insufflant une « impression de dystopie […] une forme de déshumanisation », comme il l’explique lui-même. La Base témoigne aussi de l’usure de ces travailleurs affichant des décennies d’activité au compteur : « Paris, c’est trop dur. Tu ne peux pas tenir toute la journée 11 heures dans Paris. » Mais aussi de la peur que le métier disparaisse, face à la concurrence féroce des VTC, des nouvelles mobilités et – pire – des « voitures autonomes chinoises ». Pourtant, comme le rappelle Ahmed : « Toute notre planète vient visiter Paris et le premier contact avec les étrangers se fait avec le taxi parisien. »
Rodolphe Casso