La Capitale de l’Humanité
Jean-Baptiste Malet
(Bouquins, 2022, 384 pages, 21 euros)
Les utopies urbaines ont joué un rôle important dans l’histoire de la ville contemporaine, du phalanstère de Charles Fourier jusqu’à la cité-jardin d’Ebenezer Howard. Parmi les projets tombés dans l’oubli figure le Centre mondial de communication appelé à devenir, selon ses concepteurs, la Capitale de l’Humanité. Grâce à un travail d’investigation extrêmement complet mené en Europe comme aux États-Unis et qu’il faut saluer, Jean-Baptiste Malet en fait le récit minutieux jusqu’à la mort du dernier porteur du projet en 1940.
À l’origine de cette utopie urbaine, deux artistes américains vivant à Rome, Olivia et Hendrik Andersen, ainsi qu’un architecte français, Ernest Hébrard. Dans le sillage des expositions universelles chargées de présenter aux foules le Progrès moderne, le futur Centre concentrera justement tout ce que l’humanité peut espérer dans un avenir plus ou moins proche : la cité idéale de 26 km2 (environ un quart de la superficie de Paris) accueillera en son sein toutes sortes d’institutions visant à la concorde internationale comme un Palais des gouvernements, une Banque internationale, ainsi que de très nombreux bâtiments dédiés à la Culture physique, à l’Art et à la Science. La Tour du Progrès, haute de 320 m, sera dotée à son sommet d’une installation de télégraphie sans fil « afin d’informer le monde en temps réel des dernières découvertes scientifiques, ainsi que les bureaux de toutes les sociétés qui travaillent au progrès du monde et au bien de l’humanité ».
Les protagonistes mèneront une ardente propagande auprès des grands mécènes et des chefs d’État en leur envoyant le livre présentant leur projet dans le détail (consultable aujourd’hui en ligne). La Première Guerre mondiale aura toutefois raison du projet, même si on peut voir dans l’idée de Société des Nations un hommage indirect qui lui est rendu. À la fin de sa vie, le survivant de l’entreprise, Hendrik Andersen, se laissera quelque peu séduire par la figure de Mussolini et il est troublant de penser que le projet urbanistique du dictateur italien (l’actuel quartier EUR II) ait pu s’inspirer en partie de ce qui avait été à l’origine une ambition entièrement tournée vers le bonheur des peuples du monde entier.
Thibault Tellier