Cédric Ido
(Alba Films/Trésor Cinéma)
Avec La Gravité, le réalisateur Cédric Ido fait le pari d’insuffler à un récit urbain tourné en Seine-Saint-Denis un étonnant cocktail d’astronomie, d’étrange et de mystique. Alors qu’un mystérieux alignement des planètes donne au ciel une teinte crépusculaire, une cité se prépare à un choc de générations. Christophe sort de prison après trois ans de condamnation pour trafic de stupéfiants. Il retrouve ses anciens partenaires, Daniel et son frère Joshua, qui continuent de dealer, mais beaucoup plus discrètement qu’avant. Car les temps ont changé : la cité est désormais sous le contrôle d’une bande de (très) jeunes délinquants surnommés « Les Ronins ». Tout de bleu vêtus, ils forment une petite armée à laquelle personne n’ose se frotter. Mais Christophe, qui estime que les Ronins lui doivent réparation, échafaude un plan pour ravir leur butin. Daniel préfère rester en dehors de ça, lui qui projette de quitter bientôt la cité avec sa compagne pour le Canada.
Chose troublante, la finalité du trafic des Ronins ne serait pas l’enrichissement personnel, contrairement à la génération de Christophe, Daniel et Joshua. L’argent ne serait pour eux qu’un « moyen ». Mais à quelles fins ? Est-ce en rapport avec le phénomène astral qui colore le ciel de rose et fait briller les étoiles en plein jour ? La cité serait-elle en réalité aux mains d’une secte ?
À travers cette rivalité entre générations, Cédric Ido, qui est originaire de Stains, tient à souligner un sentiment rarement exprimé dans les quartiers difficiles : « La génération [des anciens, NDLR] a été plus ou moins maltraitée, invisibilisée, pas reconnue. Elle s’est toujours battue pour pouvoir exister. Elle n’a pas du tout pensé à laisser aux plus jeunes […] un héritage efficient de [son] expérience de vie et de droits à vivre dignement dans une cité. Ces plus jeunes sont alors devant le néant et le refus de se laisser humilier comme nous. […] Ils refusent les systèmes sociaux actuels et sont prêts à sacrifier les générations antérieures s’il le faut, afin de recommencer à zéro, exister dans leur propre système, selon leurs propres règles. »
Si La Gravité pâtit de certaines carences en termes de cohérence narrative, le film impressionne en revanche sur le plan formel. L’occasion de rappeler que de Mathieu Kassovitz (La Haine), à Romain Gravras (Le monde est à toi, Athéna) ou encore Ladj Ly (Les Misérables), les cinéastes ont magnifiquement passé le flambeau, de génération en génération, pour représenter visuellement les grands ensembles avec cœur et créativité. Chaque film apporte des plans, des lumières et des cadrages – La Gravité ne fait pas exception –, parvenant à arracher au béton un peu de beauté, à révéler les arguments esthétiques insoupçonnés (ou reniés) des tours et des barres, comme si tous cherchaient à faire mentir le constat étatique formulé par François Mitterrand à Cergy-Pontoise, le 18 octobre 1990, repris récemment par Audrey Estrougo en introduction de son film Suprêmes : « Que peut espérer un être jeune qui naît dans un quartier sans âme, qui vit dans un immeuble laid, entouré d’une sorte de concours d’autres laideurs, des murs gris sur un paysage gris, pour une vie grise avec tout autour une société qui préfère détourner le regard […] ? » Ce cinéma-là ne détourne pas le regard.
Rodolphe Casso