Le Grand Retour de la terre dans les patrimoines. Et pourquoi c’est une bonne nouvelle !
Alain Trannoy et Étienne Wasmer
(Odile Jacob, 2022, 256 pages, 19,99 euros)
7 000 milliards d’euros. Telle est la valeur de l’ensemble des terrains et du bâti en France, soit près de trois fois le PIB d’une année. Le patrimoine des ménages et des entreprises est constitué à 65 % d’immobilier et de sol. Le problème : notre système fiscal et social repose sur la taxation du travail et du capital productif, non (ou à peine) sur le sol et les constructions, alors même que ces derniers augmentent, en valeur comme en proportion, dans le patrimoine national. Cette augmentation est-elle une bonne nouvelle ? En un sens oui, car cela marque l’optimisme et la confiance dans les institutions du pays. Cette augmentation s’explique par la baisse séculaire des taux d’intérêt (inflation déduite) et un insatiable appétit pour les terres urbaines. Par ailleurs, le malthusianisme foncier des communes urbaines renforce cette hausse des prix : le « zéro artificialisation nette » leur apparaît donc comme « un enfer pavé de bonne intention ».
Les auteurs dénoncent les effets, maintenant bien connus, d’une taxation élevée du capital productif dans une économie ouverte : l’investissement se fait sous des cieux fiscaux plus cléments. La terre, elle, ne nécessite pas d’investissements pour pallier l’obsolescence des investissements passés (à la différence des capitaux investis dans la production ou le bâti). Par ailleurs, elle n’est évidemment pas délocalisable. Les auteurs promeuvent un mécanisme qui taxe la terre, mais non le bâti, pour ne surtout pas décourager les investissements qui l’améliorent (malgré les difficultés théoriques et pratiques d’une telle séparation convaincante des valeurs entre « terre » et « bâti » des biens immobiliers). Les auteurs rappellent combien leurs propositions s’appuient sur une longue tradition d’économistes qui ont mis la rente foncière au cœur de leurs analyses depuis les physiocrates au XVIIIe siècle. Ils proposent un rapide tour du monde des expériences de taxation du foncier, de l’Estonie à Singapour.
Ce livre intéressera les lecteurs de la revue Urbanisme, par son sujet, bien sûr, mais aussi parce que les auteurs ont un incontestable talent pédagogique, une écriture plaisante, parfois provocatrice (notamment sur certains mythes de gauche comme l’ISF) et non dénuée d’humour. On pourra regretter que le livre ne parle qu’à peine des enjeux de transition écologique, pourtant à insérer dans une réflexion sur un éventuel grand soir fiscal. Souhaitons que ce livre fasse débat car le sujet posé est majeur.
Xavier Desjardins