L’Économie désirable
« Sortir du monde thermo-fossile »
La lecture de cet ouvrage de Pierre Veltz s’impose à qui tente de comprendre le monde et d’apporter sa pierre à un édifice de plus en plus branlant. Il serait urgent de le traduire en anglais et le diffuser internationalement pour défendre la capacité française à débattre de l’avenir, la francophonie ne se limite pas à l’usage du français, mais apporte sa contribution à la marche du monde.
Voici au moins 6 bonnes raisons de le lire : 1. L’élégance d’une écriture qui n’étale pas sa culture alors que d’innombrables recherches, analyses, documentations alimentent la démarche qui croise les données et les sujets pour édifier une construction originale.
2. La reformulation des questions : ainsi s’agit-il de se demander quoi produire et non pas seulement comment produire, en passant d’une économie des choses à celle des usages, avec un virage du monde manufacturier vers le serviciel. Pierre Veltz prône la valorisation des métiers « humanocentrés », en insistant sur « la santé comme base hyper-industrielle ».
3. Le refus des invectives, notamment celles entre les métropoles et les autres territoires, en démontrant que l’empreinte carbone est davantage liée à la composition sociodémographique et à la localisation des urbanisations qu’à la densité ; les formes spatiales émiettées sont davantage responsables (notamment en termes de transports) que l’extension raisonnée. Il dénonce aussi les fausses alternatives entre une nécessaire forte action de l’État et le foisonnement d’initiatives locales, entre les tenants de la proximité et ses détracteurs, entre la nécessaire densité et ses interdépendances avec le territoire.
4. L’art de lier les questions habituellement séparées en sortant des silos intellectuels, considérant que l’économie, l’équité sociale, les questions énergétiques et de la lutte contre le réchauffement climatique, celles de la production industrielle et des emplois s’articulent pour dessiner des scénarios d’avenir.
5. L’offre d’horizons positifs aux territoires et à une société française plus pessimiste que jamais. Pierre Veltz met l’accent sur la nécessaire reconquête par la France et l’Europe d’une position forte, face aux grandes plateformes américaines et chinoises, sur la santé, l’éducation, la sécurité et l’alimentation ; cela en luttant contre les moins-disants environnementaux qui sont les moteurs de la globalisation.
6. Le réalisme, car il serait vain de construire l’avenir sur des utopies inatteignables, tels un accord entre tous les gouvernements du monde ou une évolution radicale des modes de vie, grâce aux diktats ou un militantisme forcené. Ses scénarios se construisent à partir du monde tel qu’il est et tel qu’il pourrait raisonnablement évoluer, en prônant la sobriété d’autant que tout progrès en termes d’efficacité est débordé par l’augmentation de la demande.
Sobriété(s)
Voilà pourquoi lier sobriété de conception et sobriété d’usage s’impose. Toutefois, pour parvenir à relever les défis de demain, il rejoint Esther Duflo : « Il n’est pas d’exemple historique, dans la période récente, où un changement de paradigme n’ait pas mis l’État au centre du jeu. » Par ailleurs, il est urgent de privilégier les investissements vertueux.
Pierre Veltz fait rimer néanmoins réalisme avec utopie, en parlant d’économie désirable. Ce titre ne rend pas justice à son livre qui parle de société, d’urbanisme, d’énergie, de fiscalité, de vision du monde, pour « retrouver une perspective positive en sortant du techno pessimisme où l’on se complaît ». Pour ce faire, il affirme que « l’argent public et privé est surabondant, mais qu’il lui faut une boussole pour structurer les projets » qui peuvent fonder le monde de demain./ Ariella Masboungi
Pierre Veltz, coll. « La République des idées », Seuil, 2021
128 pages, 11,80 euros