L’Empire urbain de la finance. Pouvoir et inégalités dans le capitalisme de la gestion d’actifs
Antoine Guironnet et Ludovic Halbert
(Amsterdam, 2023, 320 pages, 22 euros)
Qui dirige nos villes ? La question n’est peut-être pas si évidente qu’il n’y paraît. Fruit de quinze années de recherche, l’ouvrage L’Empire urbain de la finance décrit comment l’idéologie capitaliste de maximisation des profits, d’abord cantonnée aux usines, a progressivement envahi nos villes. En France, mais aussi dans le reste de l’Europe, ces vingt dernières années, une partie conséquente du patrimoine immobilier tertiaire a ainsi été rachetée par des fonds d’investissement (le suédois Akelius ou l’américain Blackstone, pour citer les plus connus), ce qui a contribué à faire augmenter le prix des logements dans Paris, Berlin ou Londres.
Les auteurs s’attachent à raconter l’histoire de ce virage politique et sociétal et décortiquent la logique qui préside au cœur de cette nouvelle organisation. Dans le chapitre « Comment faire rentrer une ville verte dans une feuille Excel », ils racontent les méthodes de travail des asset manager, ces employés formés dans les assurances et les banques qui administrent les logements en tenant compte de critères purement gestionnaires, alignant des chiffres sans tenir compte de leurs habitants.
L’État s’est, lui aussi, révélé défaillant dans le contrôle qu’il a opéré vis-à-vis du secteur immobilier ces dernières décennies. Or, il ne faut pas oublier que ce secteur joue un rôle essentiel dans les politiques publiques, car il permet de tirer des ressources, tant fiscales que symboliques, pour la puissance publique.
Comme le rappellent, à juste titre, les deux auteurs, la contrainte budgétaire qui pèse sur les collectivités depuis des années a aussi contraint les élus, étranglés, à se rapprocher des gérants d’actifs immobiliers pour parvenir à leurs fins, faisant de ces derniers, au terme de deux décennies de croissance, une nouvelle élite qui préside au futur des métropoles.
Car, les actualités de ces dernières années nous l’ont confirmé, ce sont aussi dans le rapport au foncier que se jouent des questions centrales de société : l’accès aux espaces, l’accès aux richesses, le partage du pouvoir politique ou encore les conditions de la transition écologique. Des sujets bien trop sérieux, comme le démontrent brillamment les deux chercheurs, pour les laisser aux seules mains de gestionnaires de fichiers Excel.
Emmanuelle Picaud