Les Falaises de Flamanville
Jérôme Lefilliâtre
(Éditions du Seuil, 2023, 336 pages, 20,50 euros)
À la pointe de la Manche, la commune de Flamanville ne fait pas vraiment la Une des journaux jusqu’à ce jour de 1974. L’Éclair du Cotentin y rapporte les grandes ambitions de l’État français pour la bourgade rurale : une centrale nucléaire. Une souveraineté énergétique portée par le Premier ministre de l’époque, Pierre Messmer, qui prévoit le lancement de 13 infrastructures de la sorte sur le territoire national.
Dans la commune, l’arrêt d’une mine de fer sous-marine, en 1962, a fait du tort aux habitants. André Rouxel, qui a subi lui aussi de plein fouet cette fermeture avant de se hisser à la plus haute fonction de la ville, est persuadé d’offrir à sa population le remède tant espéré. Il n’est pourtant pas au bout de ses déconvenues ; pantois lorsqu’il découvre que le site envisagé par EDF se situe à quelques centaines de mètres de sa maison patiemment rénovée, et pour laquelle il a sué sang et eau.
Jérôme Lefilliâtre, grand reporter à Libération et enfant du Cotentin, déroule un récit documenté grâce aux archives de l’INA. Néanmoins fictionnel, il retrace les six mois sous haute tension qui ont bouleversé la quiétude de Flamanville. Porté par un couple d’enseignants écologistes, le camp antinucléaire est soutenu par des personnalités pour le moins éclectiques. Une châtelaine, qui sort enfin de son antre, l’épouse snob d’un producteur de cinéma parisien, davantage préoccupée par le paysage que l’écologie, et quelques marins inquiets de leur pêche quotidienne.
Fait rare, cette mobilisation a permis de rallier les agriculteurs, plutôt conservateurs dans leur vote. De l’autre côté, ceux qui ont pâti de la désindustrialisation martèlent l’argument de l’emploi. Convaincu, l’édile y voit aussi l’opportunité d’offrir de grands équipements et rénovations à ses habitants – comme lui glisse savamment l’un des ingénieurs du projet.
La grand-messe de la concertation est finement décrite, et ne manquera pas de faire sourire les professionnels de la ville. Si aucune recette miracle ne se trouve dans les pages de ce roman, Flamanville constitue l’un des laboratoires en la matière, le premier à avoir conduit un référendum local sur le nucléaire – qui a scellé son destin.
Maider Darricau