Kamal Lazraq
(Ad Vitam, Prix du jury, « Un certain regard », Cannes 2023)
Premier long métrage du réalisateur marocain Kamal Lazraq, Les Meutes est un film sombre par sa temporalité – la nuit – et les protagonistes que viennent à rencontrer ses deux héros, Hassan et Issam. Le duo – un père, résigné à enchaîner les petits trafics, et un fils, désabusé par ce méchef – entame une longue traversée nocturne, où se dévoilent les contours d’une Casablanca miséreuse, théâtre d’ignominies au nom de la survie. À commencer par une scène d’ouverture, glaçante, de rivalité entre deux gangs ; « meutes » qui dressent des canidés au combat, dont on ressentirait presque la puanteur. Un sentiment d’oppression qui ne manquera pas d’étreindre le spectateur, inquiet du dénouement de cette course contre la montre, où père et fils transportent un cadavre à travers la ville.
Dans une camionnette bringuebalante rouge se dessinent des rapports houleux entre le patriarche et sa progéniture, sur fond de masculinité et de tiraillement entre respect et volonté de rébellion. Une thématique centrale de son pays qu’avait à cœur de représenter Kamal Lazraq : « Au Maroc, il existe un très grand respect envers le père. On ne conteste pas sa parole, on ne peut pas faire sa crise d’adolescence. Quand on a dit à l’acteur qui joue le fils : “Lui, ce sera ton père”, un rapport de déférence s’est installé entre eux. »
Une relation qui manque souvent de mots, traduite par de longs silences et une certaine puissance dans les regards échangés. Et puis, dans ce tourbillon de déconvenues et de gangstérisme, la religion occupe une place centrale, dépeinte avec sarcasme. Un djinn, qui prend l’apparence d’un équidé ; un pardon quasi loufoque à Dieu, pour les turpitudes ; des rituels inéluctables, appliqués même à l’ennemi.
« La religion est très présente dans la culture marocaine, et je dirais même que c’est une forme de superstition : la peur d’être maudit, la peur de subir un châtiment divin… Les gens peuvent accepter de faire des choses pas très morales pour survivre, mais la chape de superstition est toujours présente. »
Les plans obscurs subliment l’image et le scénario, où l’on découvre des quidams éclectiques déambulant dans les rues de la ville blanche. « Quand on circule dans les marges de Casablanca la nuit, cette dimension burlesque est très présente : les gens sont souvent de véritables personnages qui cabotinent. »
Un premier long métrage entre le documentaire et le thriller, qui dévoile un pan âpre de la ville, peu représenté au cinéma.
Maider Darricau