Maria Wischnewski
(Disponible sur Arte, jusqu’au 24 février 2024)
Créature mystérieuse vampirisée par l’homme, le rat nous suit pourtant « comme une ombre depuis des siècles », relate le documentaire allemand de Maria Wischnewski. Selon la légende urbaine la plus répandue, les rats seraient aussi nombreux que les habitants d’une ville. Considéré comme un problème dans les sociétés occidentales, il est un symbole de fortune et de sagesse en Asie. « On adore le détester, par peur, dégoût et fascination. » Contrairement à des croyances ancrées, le rat est un animal profondément social. « Il préférerait secourir un congénère en difficulté plutôt que de manger un morceau de chocolat. » Pour la chercheuse en science de l’information et de la communication, Hécate Vergopoulos, cette hantise du rat émerge au XIXe siècle lors de la construction des villes modernes. Tandis que les animaux destinés à la consommation qui peuplaient jadis la cité sont déplacés dans les abattoirs, les rats échappent à cette « mise en œuvre du vivant, indociles et rebelles ».
Alors qu’il vit à nos côtés depuis l’aube de la civilisation, la recherche scientifique s’est très peu intéressée à ce rongeur. Porteur de maladies – le traumatisme de la peste noire est encore présent –, il est l’objet de plans d’extermination dans les métropoles. Une politique publique qui se révèle la plupart du temps infructueuse. Certaines villes conscientes de son inefficacité étudient de nouvelles manières de cohabiter avec ce muridé. À Berlin, une étude a démontré les conséquences dramatiques de l’utilisation de produits chimiques sur l’environnement. Elle a révélé un constat édifiant : 100 % des poissons pêchés dans des rivières à proximité des égouts étaient porteurs de substances contenues dans les raticides.
À Vancouver, de récentes recherches menées sur la relation entre ces rongeurs et la leptospirose – une bactérie dont on connaît bien le fonctionnement – ont présenté des résultats surprenants : lorsqu’on réduit la présence de rats dans une zone, cette maladie se transmet plus rapidement chez ces derniers. « La lutte massive contre les rats pourrait être à l’origine de ce qu’elle veut combattre, il faut changer notre manière de penser ce problème. » Un premier élément de réponse consisterait à limiter les quantités de déchets alimentaires rejetés dans l’espace public. Au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, il fera bientôt son apparition aux côtés de ses congénères empaillés. L’objectif étant de l’ancrer dans la normalité pour changer notre regard sur ce rongeur, dont le rôle dans la salubrité de nos villes est certain. Un documentaire intrigant sur ce voisin mal-aimé et pourtant méconnu.
Maider Darricau