L’État a toujours soutenu les territoires
Dénouer des contre-vérités par une analyse rigoureuse, voilà où Laurent Davezies excelle avec malice. Être à contre-courant ne le gêne aucunement d’autant qu’il est réticent à l’allégation gratuite en s’appuyant sur un appareil statistique complexe qu’il gère avec gourmandise, n’hésitant pas à affirmer avec humour que sa « matière est profondément ennuyeuse ».
L’ouvrage dément ce propos car on passe de surprise en surprise, alors que l’ouvrage est truffé de chiffres et de démonstrations. L’auteur ne se veut pas prophète pour penser le monde d’après qu’il esquisse toutefois, mais propose de bien comprendre le monde « juste avant ».
La grande démonstration du livre est la déclinaison de son titre. L’État « reste le principal aménageur des territoires les plus vulnérables » et joue plus que jamais son rôle redistributif entre les gagnants et les perdants, faisant reculer les inégalités interrégionales pourtant croissantes du fait de la polarisation croissante de l’emploi.
Chose plus surprenante : « Les machines redistributives permettent de réduire de près d’un tiers les inégalités de niveaux de vie. » Cela ne signifie pas que tout va bien dans le meilleur des mondes, car les inégalités restent importantes, mais c’est en France qu’elles seraient les moins fortes en termes de niveaux de vie.
Autre démonstration étonnante : les territoires ruraux et peu denses seraient privilégiés par l’État ! Mais oui, nombre de métropoles sont « des machines territoriales solidaires » vis-à-vis de leur hinterland, faisant plus couture que fracture grâce à des revenus métropolitains redistribués à l’extérieur de leur territoire.
La métropole crée donc plus de richesse qu’elle ne touche de revenus, information décisive à l’heure d’un « haro sur les métropoles » notamment avec le Covid. Ceci étant, les métropoles concentrent de plus en plus l’emploi. Davezies note même « une concentration dans la concentration » des emplois d’avenir (numérique, ingénierie, études techniques, services aux entreprises) dans quelques métropoles, voire dans leur hyper-centre. Mais grâce aux mécanismes étatiques, la fracture productive ne s’est pas accompagnée de la fracture territoriale des revenus, notamment grâce à la forte augmentation de l’emploi public.
Impossible d’évoquer tous les trésors de l’ouvrage tels : la modification de l’évaluation des revenus d’un territoire en calculant les flux et non seulement les stocks ; la discrimination entre les territoires qui créent de l’emploi et ceux qui ne le font pas est plus déterminante pour évaluer leur vitalité que le simple fait qu’ils en perdent ; le regain de l’industrie, l’évocation d’un frein à l’ascension sociale par « l’hypergamie », c’est-à-dire le fait que les cadres se mettent moins en couple avec des personnes issues d’une moindre classe sociale qu’auparavant.
Mais l’auteur pointe principalement la différence entre l’équité économique et l’équité territoriale. S’il démontre que les territoires peu denses sont mieux dotés en argent public, mais aussi en termes de services par habitant que les territoires denses, il n’en reste pas moins qu’ils ont le sentiment d’être oubliés.
Terminons par la boutade de Davezies invité de France Inter : « On ne peut pas jouir d’une maison individuelle pas chère en zone peu dense et exiger d’avoir le métro à la porte de chez soi. » Toutefois, en conclusion, l’auteur exprime son inquiétude sur ce que l’enjeu de la dépense publique post-Covid, dont dépendent tant les secteurs publics que privés, peut induire en termes de crise économique à venir./ Ariella Masboungi
Laurent Davezies, coll. « La République des idées », Seuil, 2021
112 pages, 11,80 euros