Matière grise de l’urbain
« La vie du ciment en Afrique »
Le ciment – défini comme premier matériau de construction au monde et comme symbole de la modernité – se retrouve indifféremment dans les pays du Nord et du Sud, et il participe de l’urbanisation et de la globalisation. Mais, ici, il est analysé à partir de l’Afrique et plus précisément d’un ancrage à Cotonou et le long du corridor urbain qui va d’Abidjan à Lagos. La recherche s’appuie sur un travail de terrain (entretiens, observation) et sur des sources secondaires associant des travaux anglophones et francophones de chercheurs du Nord et du Sud. Le ciment est appréhendé à partir de la chaîne de production et de commercialisation des matériaux relativement peu connue en raison des multiples connexions, routes et dépendances inattendues.
L’ouvrage s’organise à partir de quatre chapitres. Le premier, intitulé « Gouverner par le béton », fait référence aux acteurs (cimentiers, organismes publics de construction et gouvernements) et permet de comprendre les dynamiques macroéconomiques et l’économie politique structurant la filière. Le deuxième, « Bétonner la ville », est centré sur la production de l’urbain à travers l’étude de grands projets et de l’immobilier. Le troisième, « La vie sociale du ciment », étudie la place du ciment dans les pratiques et les représentations des habitants. Et le quatrième, « L’insoutenable durabilité du béton », s’interroge sur l’avenir du béton dans les villes africaines et dans le monde en raison de son empreinte écologique dans un contexte visant la décarbonation de l’économie. Sans cependant esquisser de sérieuses alternatives.
L’intérêt de ce remarquable essai est double : il apporte un nouvel éclairage sur une thématique peu abordée dans les études urbaines en même temps qu’il met en scène la mégalopole africaine qui relie Accra (Ghana), 5 millions d’habitants, à Lagos (Nigeria), 23 millions d’habitants, en passant par Lomé, Cotonou et Porto Novo. Ce corridor urbain ou cette mégalopole – si l’on reprend le mot inventé par le géographe français Jean Gottmann en 1961, pour évoquer la continuité de l’urbain de Boston à Washington DC en passant par New York – inclut plus de 30 millions d’habitants et peut-être 50 millions en 2050. Il confirme en quelque sorte que la métropolisation ne se limite pas au Nord, mais concerne également l’Afrique.
Je recommande donc vivement la lecture de l’ouvrage d’Armelle Choplin, professeure à l’université de Genève. Soulignons la qualité de la maquette qui intègre textes, photos (villes et paysages), cartes, citations de philosophes et d’écrivains et notes de terrain. L’agencement astucieux de ces divers éléments associé à un style dynamique permet une lecture aisée d’une réflexion centrée sur la « matière grise » de l’urbain. / Cynthia Ghorra-Gobin
Armelle Choplin, coll. « Vues d’ensemble — Essais », MétisPresses, 2020
252 pages, 20 euros