Nature humaine
Nature humaine, salué par le prix Femina 2020, fait rêver, et fait vibrer bien mieux que les ouvrages écrits par les professionnels du paysage ou de la ville. Il fait comprendre que l’écologie, la nature, l’agriculture, cela se vit et c’est ainsi que l’on peut mieux saisir ce qui menace ce que nous aimons : les paysages cultivés, les animaux bien traités, la nature, les villages, l’identité des lieux.
Pour Serge Joncour, « Il ne faut pas oublier que les agriculteurs sont avant tout au contact de la nature de façon permanente, nature dont les écologistes et les citadins sont tenus à distance. Donc ils sont au cœur même du sujet. »
Le roman traverse trois décennies de l’histoire de France de 1976 à 1999, avec son cortège de catastrophes climatiques (déjà !), de rejet des grands projets (le camp militaire du Larzac, la centrale nucléaire de Golfech)… Le changement radical de mode de vie amène à abandonner les corps de ferme pour des lotissements sans âme, mais dotés de tout le confort ; la pression des grandes surfaces pousse les agriculteurs à passer d’un élevage naturel, où les animaux avaient un nom, à un élevage intensif pour entrer dans les critères de productivité ; les villages se vident de leurs habitants, car la vie sociale ne peut plus trouver place que dans les grandes villes…
Le passage prévu du TGV et le projet d’autoroute qui va avec sont perçus par les locaux comme une opportunité de dynamisation économique, alors que, pour le paysan, c’est la perte de la magie de son domaine, gâché par le bruit et la vue de l’autoroute. Est mise en péril alors la joie du silence et des bruits de la nature. Menacée aussi, par les infrastructures en projet, la magie des lieux, subtilement évoquée par le seul héritier de la famille paysanne qui s’évertue à garder la ferme, évoque paradoxalement les exigences des parcs d’attractions qui doivent fuir toute vue sur le réel susceptible de détruire l’illusion des lieux à évoquer.
Traversant la vache folle, Tchernobyl, la terrible tempête de 1999, les trente années du roman – magnifiquement écrit par un auteur amoureux de ses personnages – nous amènent sans nostalgie à considérer le patrimoine paysan comme moderne et répondant à bien des questions contemporaines amplifiées par la pandémie, faisant dire à Serge Joncour : « Le statut d’humain ne nous confère pas une forme de supériorité ou une autorité par rapport à l’environnement, au monde et à la nature. Ce n’est pas nous qui commandons ! » / Ariella Masboungi
Serge Joncour, Flammarion, 2020
400 pages, 21 euros