Leva­let
(Édi­tions alter­na­tives, 2023, 152 pages, 22 euros)

 

La confec­tion de ce roman gra­phique, consi­dé­ré comme la pre­mière bande des­si­née à l’échelle urbaine, a deman­dé pas moins de trois années de tra­vail à son auteur. Relayée en direct sur les réseaux sociaux à par­tir de 2019, cette entre­prise a consis­té en la réa­li­sa­tion de per­son­nages gran­deur nature, des­si­nés à l’encre de Chine, puis col­lés sur les murs de Paris, Reims, Mar­seille et Londres.

Ce récit sans aucun dia­logue consti­tue, au final, une fresque urbaine gigan­tesque qui suit les péré­gri­na­tions lou­foques – par­fois même hal­lu­ci­nées – d’un jeune homme non­cha­lant. Un par­cours semé d’embûches et de ren­contres plus ou moins heu­reuses pour des aven­tures invo­quant aus­si bien L’Odyssée d’Homère, avec son lot de Sirènes, de Cyclopes ou de Loto­phages à la sauce bitu­mée, que des élé­ments pop culture contem­po­rains (zom­bies, aliens…).

Cré­pi, béton, lézardes, faïence, pavés, gou­dron, briques, pylônes, rebords, tuyaux, poteaux… Leva­let met à pro­fit toutes les tex­tures et tous les objets à sa dis­po­si­tion pour racon­ter son récit urbain, pour un résul­tat en trompe‑l’œil aus­si trou­blant que sai­sis­sant. La démarche pour­rait être com­pa­rée à celle d’un ska­teur exploi­tant les reliefs et les anfrac­tuo­si­tés de la rue pour en faire son ter­rain de jeu.

« Les décors de cette his­toire sont ceux qui se sont pré­sen­tés à moi au hasard de mes déam­bu­la­tions, dans toute leur bru­ta­li­té, leur com­plexi­té et leur poé­sie, dévoile l’auteur. Ils doivent leur sin­gu­la­ri­té esthé­tique à toutes celles et ceux qui ont contri­bué à façon­ner ces espaces : archi­tectes, peintres en bâti­ment, intem­pé­ries, moi­sis­sures, artistes de tout crin et autres mili­tants pla­car­deurs. » Pour Leva­let, outre le déploie­ment de cette his­toire gran­deur nature, l’exercice a per­mis de dres­ser un « état des lieux de la ville et de sa vie ».

L’album s’achève sur un astu­cieux making of qui ren­seigne le lec­teur sur la méthode de Leva­let et l’ampleur de la tâche accom­plie. Et vient rap­pe­ler le carac­tère éphé­mère de la démarche. Heu­reu­se­ment, ce très beau livre est là pour témoi­gner de cette aven­ture unique en son genre.

Rodolphe Cas­so