Adnane Tragha
Les Films qui causent, en salles le 8 juin
En l’espace d’un an seulement, la cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) a fait l’objet de deux films. Le premier, intitulé tout simplement Gagarine, signé Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, était une fiction sortie en salles en juin 2021, dans laquelle un gamin de 16 ans voulait sauver la cité de la destruction avec l’aide de ses habitants. Aujourd’hui, c’est dans le documentaire On a grandi ensemble, d’Adnane Tragha, que la barre d’habitation de 360 logements refait parler d’elle.
Le réalisateur a grandi et vécu jusqu’à ses 28 ans à quelques dizaines de mètres de cette cité symbolique de la banlieue rouge, en cours de démantèlement depuis 2019, pour faire place à un nouvel ensemble architectural baptisé Ivry Confluences ; l’un des plus grands projets d’aménagement actuel en région parisienne et qui concerne plus de 20 % de la superficie de la ville. À l’image d’Alice Diop et de son documentaire Nous (lire Urbanisme n° 424), Adnane Tragha entend donner « une autre image des quartiers populaires », sans pour autant « nier les difficultés », afin de montrer « ce qu’il y a de plus beau et met en valeur toutes les initiatives porteuses d’espoirs ». De retour dans la cité, qui n’est désormais plus peuplée que d’engins de chantier, le réalisateur reconstitue ainsi la mémoire de « Gag » en donnant la parole à Daniel, Loïc, Karima, Yvette, Foued, Samira ou Mehdy, tous anciens habitants. C’est « entre le diagnostic et le passage de la faucheuse » que chacun invoque ses souvenirs d’un lieu de vie inauguré par Youri Gagarine en personne en 1963 (un film d’archives le montre même plantant un arbre au pied du bâtiment).
On a grandi ensemble rend hommage de manière équilibrée, sans aucun misérabilisme, au tissu social hétérogène qui a prospéré dans ce « quartier de centre-ville replié sur lui-même », comme le rappelle un ancien résident, « alors qu’il est à deux pas du métro et du RER ». Pour le meilleur et pour le pire : amitiés, solidarités, initiatives citoyennes et éclosion des cultures urbaines d’un côté, délinquance, stigmatisation, précarité et drames liés aux drogues, de l’autre, à l’exemple de l’épidémie d’héroïne qui a miné la cité ans les années 1980. Ce qu’Adnane Tragha et ses témoins conservent ici, c’est tout ce que les grues, les pelleteuses et les boules de démolition n’emporteront pas avec elles.