Plouc Pride
« Un nouveau récit pour les campagnes »
Plouc Pride est d’une ambition folle. Valérie Jousseaume tente d’établir en 2022 une pure synthèse philosophicosocio-ethno-géographico-politique comme il ne nous a plus été donné d’en lire depuis l’extinction des braises des luttes catégorielles issues des feux des utopies sociales. Depuis que l’on sait qu’il n’y aura pas de RER entre Nanterre et le Larzac. Car oui, en convoquant au fil des chapitres Bourdieu, Rosa, Bidar, Lao Tseu… elle nous interpelle : qui s’est montré capable, au XXIe siècle, d’une telle prise de risque ?
Alors tant pis pour les raccourcis (dans les concepts) et les inexactitudes (dans les chiffres) parce que, dès le début, l’auteure nous convainc avec son style percutant et ses schéma savants au service de convictions sincères, pointant du doigt l’oppresseur (la modernité) à qui profite l’écrasement – par la négation même – de la minorité rurale et de son territoire, la campagne. Dont elle produit un panégyrique convaincant, au point que le petit-fils d’agriculteur qui écrit ces lignes, et qui garde un souvenir bien plus mitigé des réalités de la vie paysanne (ennui, méfiance, rudesse…), s’est surpris à réviser certains jugements qu’il croyait définitifs.
Plouc Pride s’attaque à tous les malentendus, à toutes les condescendances, et même parfois à toutes les oppressions qu’il croit distinguer dans les statistiques officielles et les politiques publiques, en veillant à ne jamais flirter – comme Debord, son maître putatif – avec le complotisme. Son titre n’est pas trompeur : l’objectif de ce livre est bien de réhabiliter une identité, une mémoire, une culture… d’établir un corpus pour l’émergence d’une fierté des campagnes, dont les habitants ne devraient ni ne voudraient avoir à choisir entre le mépris sinon l’oubli, et l’assimilation à l’urbain dont ils seraient condamnés à ne demeurer qu’une sous-classe.
Excessive comme toute militante dévolue à la cause, Valérie Jousseaume ne perd jamais le fil de ses démonstrations. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’elle convoque, vers la fin, le mythe d’Orphée dont elle a manifestement retenu la morale : contrairement au héros, elle poursuit son chemin dialectique jusqu’au bout, sans jamais se retourner sur le spectre de la campagne aimée. Elle sait que sa libération est à ce prix. Julien Meyrignac
Valérie Jousseaume, L’aube, 2021
304 pages, 24 euros