Politiques du désordre
« La police des manifestations en France »
Voici une synthèse scientifique de très grande qualité sur le sujet du maintien de l’ordre dans les manifestations de rue, proposée par d’éminents spécialistes dans une perspective critique et parfaitement actualisée. Professeur de sociologie politique à l’université de Lausanne, Olivier Fillieule, chercheur reconnu en matière de mobilisations collectives des « années 68 » à nos jours, s’est associé pour ce faire au directeur de recherches au CNRS Fabien Jobard, tous deux ayant été les élèves du politiste Pierre Favre, pionnier de l’analyse scientifique de la manifestation en France.
À travers un récit au prisme assez déformé, très contemporain (bien que les premiers chapitres offrent de rapides éclairages historiques), cet ouvrage est le fruit de recherches menées depuis une vingtaine d’années et propose une analyse engagée des affrontements entre la police et les manifestants, qui se sont multipliés en l’espace de quelques années en France, avec pour bilan un nombre effarant de blessés, mais aussi des décès.
En effet, alors que depuis les « évènements » fondateurs de Mai 68, la pacification du maintien de l’ordre (alors sous les ordres du préfet Maurice Grimaud à Paris) avait fait la fierté des gouvernements français successifs – quand bien même l’histoire sociale française est-elle marquée par des épisodes très violents –, cette « pratique » laisse désormais apparaître, dans un contexte de tensions sociales accrues, de violences urbaines et de terrorisme, des logiques nouvelles de « brutalisation » et de militarisation.
Alors que la manifestation de rue se voit ainsi de moins en moins reconnue comme une expression légitime de la contestation par les pouvoirs publics (« Ce n’est pas la rue qui gouverne ! », pour reprendre une expression de Jean-Pierre Raffarin), dont la violence de la répression ou même la simple vue de l’armement des forces de l’ordre exercent désormais, à elles seules, de puissants effets de dissuasion, les auteurs établissent le constat implacable de ces régressions successives et les analysent en détail, démontrant que cette brutalité française du maintien de l’ordre est très singulière en Europe et, en réalité, tout à fait contreproductive.
Dans une forme de responsabilité louable, ils en appellent à des réformes pour remettre le maintien de l’ordre sur la voie de la pacification, en estimant qu’il n’est plus seulement l’expression univoque de la souveraineté régalienne, mais aussi un objet de délibération collective. Damien Augias
Olivier Fillieule, Fabien Jobard, Seuil, 2020
304 pages, 21 euros