Repenser l’aménagement du territoire
Encore un livre sur l’aménagement du territoire, « vache sacrée » de la France des Trente Glorieuses ? Tout l’intérêt de ce précieux volume, issu d’un colloque de Cerisy en septembre 2019, est précisément de démontrer que la « pensée aménagiste » a été bouleversée et doit encore se réinventer face aux nouveaux enjeux de la gouvernance territoriale. De l’aménagement à l’attractivité, de la compétitivité à l’égalité des territoires, l’actuelle cohésion des territoires n’est ni le premier (ni sans doute le dernier) avatar de cette « théorie de la justice spatiale » (pour reprendre le titre d’un récent essai, signé notamment par le géographe Jacques Lévy) et de la conception française (mais aussi européenne) du développement territorial.
Dans ce recueil ambitieux, les contributeurs sont à la fois des universitaires (géographes, urbanistes, historiens) et des praticiens (« décideurs » et « intellectuels » des administrations et opérateurs publics) qui n’hésitent pas à réinterroger des concepts forgés à « l’âge d’or » (années 1960) de l’aménagement du territoire français, puis dans les « riches heures » de la première décentralisation (années 1980) : juste (sinon égale) répartition des richesses et des infrastructures (transports, logements…), mise en réseaux techniques du territoire national, proximité, développement local, européanisation des politiques publiques, technocratisation de la gouvernementalité aménagiste… Surtout, la dernière partie de l’ouvrage s’attarde à raison sur le sujet majeur du « ménagement » du territoire (pour reprendre l’expression de Roger Brunet dans son essai de 1994, La France, un territoire à ménager) à l’heure de l’anthropocène, nécessitant de nouveaux paradigmes pour un aménagement non seulement durable, mais aussi résilient et sobre. On le voit, le débat sur les permanences, les obsolescences (voire les apories) de notre « modèle » français d’aménagement du territoire (ou plutôt des territoires) est riche et mérite une lecture attentive.
On retiendra notamment d’utiles mises en perspective historique (Marie-Vic Ozouf-Marignier) et comparée (Giuseppe Bettoni, à propos du modèle italien, qui, entre la gouvernance urbaine et la planification régionale, n’a pas d’équivalent d’un « aménagisme » à la française), ainsi qu’une longue partie traitant de la centralité des réseaux (électricité, transports, numérique…) dans le quadrillage et l’organisation du territoire national.
Stéphane Cordobes, Xavier Desjardins, Martin Vanier (dir.), Berger-Levrault, 2020
320 pages, 29 euros