Jean-Gabriel Périot
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Dans son livre Retour à Reims (paru en 2018 chez Fayard), Daniel Eribon évoquait sa ville natale, son milieu d’origine ouvrière, et retraçait l’histoire de sa famille. Cette adaptation cinématographique sous forme documentaire, réalisée par Jean-Gabriel Périot (avec le commentaire en voix off de la comédienne Adèle Haenel), reprend l’essentiel de cette structure en s’appuyant sur des images d’archives. Celles-ci permettent d’illustrer un propos clinique sur les conditions de vie très difficiles d’une famille marquée sur plusieurs générations par un milieu défavorisé et des métiers hautement pénibles.
À travers ce récit, Retour à Reims expose l’étanchéité des mondes sociaux à une époque où, sur 1 000 enfants d’ouvriers, 34 seulement accédaient à l’enseignement supérieur, contre 570 pour ceux des cadres sup’. Le parcours de la famille Eribon est aussi résidentiel. Les logements étant rares à l’époque, même dans une ville comme Reims, la vie s’organise d’abord dans un appartement d’une seule pièce, puis dans une petite maison de cité ouvrière, jusqu’à l’arrivée en HLM dans les années 1960 (que l’auteur appelle « caserne civile »), dont les rares fenêtres donnent sur des « paysages ingrats ». Mais de ce tableau âpre, on retiendra surtout comment est évoquée, à travers des témoignages d’une dureté sidérante, la pénibilité au travail. L’ouvrier subissant les cadences des chaînes n’a pas que mal aux mains ; il a aussi « du mal à parler », et même « du mal à penser ». « L’usine brise les corps », rappelle Adèle Haenel, dans son commentaire tout en sobriété.
Enfin, Retour à Reims aborde l’évolution d’un électorat ouvrier qui se serait peu à peu laissé séduire par l’extrême droite, alors que de nouveaux travailleurs venant d’Afrique du Nord commençaient à investir les usines et les HLM à partir des années 1970. Ou comment de l’adhésion au communisme – proclamée et revendiquée –, les milieux populaires se sont mis à voter Front national – en silence – dans le but de préserver une « identité collective ». Avec en creux l’idée que stigmatiser plus pauvre et précaire que soi serait aussi un moyen de ne plus occuper le bas de l’échelle. Le documentaire se conclut sans surprise sur la crise des « gilets jaunes », présentée comme l’aboutissement de plus d’un demi-siècle de luttes sociales et de désillusions politiques.