Sélection François Ascher
La Société hypermoderne
« Ces évènements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs »
« Dans quelle société vivons-nous ? » Cette question posée par Dubet et Martuccelli est aussi celle de ce livre, central dans l’œuvre de François Ascher. Ce véritable traité développe une théorie : partant des grandes composantes de la modernisation comme processus historique (individualisation, rationalisation, différenciation sociale, capitalisme, complexification de l’État-nation, révolutions urbaines), il aboutit à la définition de la « société hypermoderne », expression de la radicalisation de la modernité. Ensuite, il décline les grandes dimensions de cette société : capitalisme cognitif, nouvelles formes de régulation collective (dont l’État), « glocalisation », nouvelles figures des espaces-temps.
Au centre de son raisonnement, profondément opposé à l’idée de postmodernité alors très puissante, se trouve la « société hypertexte ». Conséquence de la radicalisation de la modernité, celle-ci entraîne une diversification des formes sociales : groupes, formes économiques, modes de régulation, registres de discours rationnels. L’individu devient multidimensionnel et pas seulement multi-appartenant : selon les contextes dans lesquels il se trouve, il ne se contente pas de s’adapter, il change.
François Ascher n’a jamais beaucoup adhéré à l’idée d’une fin de la société, mais, pour lui, cette dernière prend une signification complètement différente lorsqu’elle devient une sorte de construction infinie dans laquelle chacun doit élaborer des parcours. Pour éviter les effets radicalement centrifuges de cet infini, elle a besoin de se représenter à elle-même, de produire une « institution imaginaire ». Optimiste toujours, il voit cette institution (p. 66–67) dans de nouveaux « mythes hédonistiques » et leurs rituels (Halloween, Coupe du monde, Fête de la musique, etc.). Construction théorique, ce livre nous propose aussi une méthode pour interroger ce que nous vivons aujourd’hui.
L’Aube, 2005 (rééd. de 2000)
Le Mangeur hypermoderne
Dans ce livre passionnant et documenté, François Ascher s’attache à montrer qu’« à la ville comme au restaurant, les individus choisissent leur mode de vie à la carte » et il explore avec gourmandise un champ d’étude nouveau pour lui. Il nous emmène dans les cafés branchés de la rue Oberkampf, à Paris, comme dans les McDo chinois, mais aussi dans l’atelier El Bullitaller du cuisinier catalan Ferran Adrià, alors véritable laboratoire de l’invention de nouvelles saveurs. Ce voyage gastronomique et conceptuel s’attarde sur l’histoire des pratiques alimentaires, salue le mouvement Slow Food, analyse la dimension sociale de l’anorexie, parcourt les guides gastronomiques qui organisent le marché… En conclusion, pour François Ascher se confirme, à travers ses nourritures, l’émergence d’« une classe créative qui esthétise le quotidien ».
Pour autant, il s’interroge : « L’individu hypermoderne est-il à l’image de ses pratiques alimentaires ? »
Odile Jacob, 2005
Examen clinique
« Journal d’un hypermoderne »
Ce témoignage « entre intime et théorie » d’un hypermoderne confronté à un « méchant cancer », ne nous épargne aucun détail d’un diagnostic sévère, résultat paradoxal de la sérendipité si chère à François Ascher (« On avait trouvé mon cancer en cherchant autre chose »). Mais l’auteur de Ces évènements nous dépassent… décide d’en faire sa devise pour affronter la maladie. D’où un texte touchant et réflexif en forme de lettres à ses proches, lui permettant de revenir sur son parcours personnel. François Ascher reconnaît « voir la société au prisme de sa personnalité ». Il revendique un optimisme personnel et sociétal, même s’il confie qu’il lui est difficile de « positiver » ses métastases… Il livre un regard pénétrant sur le système de santé français à travers sa double expérience d’un grand CHU parisien et d’une clinique privée spécialisée. Il salue la compétence des médecins, mais souligne qu’il « faut toujours chercher à obtenir une contre-expertise ». Il relève les différences d’approche entre un cancérologue et un chirurgien, par rapport à la « prise de risque ». Au cœur même d’une maladie mortelle, il continue de penser « les relations entre expertise et décision ».
L’Aube, 2007
Organiser la ville hypermoderne
« François Ascher, Grand Prix de l’urbanisme 2009 »
Titre ambitieux pour cet ouvrage posthume dédié à son Grand Prix de l’urbanisme, où François Ascher assume sa responsabilité de lauréat d’ouvrir des horizons aux acteurs de la ville, en les incitant à lier leurs démarches aux acquis de la recherche. Il y énonce clairement ses « positions épistémologiques et professionnelles » : « Le projet comme analyseur », « L’éclectisme comme méthode critique », « L’ancrage académique », « Convictions, passage à l’acte, confrontation au réel et prise de risque ». Il invite les décideurs à doter la ville « hypermoderne » dans sa large échelle territoriale d’une vision et d’un dessein, sans dirigisme mais avec utopie.
Ariella Masboungi (dir.), Parenthèses
Photo François Ascher © Thomas Gogny