Si le temps le permet
« Enquête sur les territoires du monde anthropocène »
Le titre de cet étonnant ouvrage vient d’une expression, nous dit l’auteur, qui « ponctue nombre de conversations à Saint-Pierre-et-Miquelon » et « rappelle que le climat manque de tempérance dans cette partie de la planète ». Mais que diable Stéphane Cordobes, géographe, philosophe et prospectiviste, est-il allé faire dans cet archipel français de l’Amérique du Nord, comptant à peine 6 000 habitants ? Son travail ! Soit « une enquête prospective expérimentale, en immersion, en associant les habitants et ceux qui portent de l’intérêt à l’archipel ». Car Saint-Pierre-et-Miquelon vit une situation difficile depuis bientôt trente ans : « Malgré le soutien financier massif de l’État, le territoire n’a pas surmonté le choc économique et culturel consécutif au moratoire de 1992 qui a scellé la fin de la grande pêche. » Cet état de fait est le point de départ de l’exploration entreprise par l’auteur, qui, nourri des lectures de Bruno Latour et de Michel Lussault sur l’anthropocène – changement de période géologique et basculement dans un nouveau Monde –, perçoit dans Saint-Pierre-et-Miquelon une figure révélatrice d’une planète qui doit bifurquer pour survivre.
Stéphane Cordobes porte son regard sur ce territoire improbable, par un double mouvement qui fait toute l’originalité de ce livre. D’un côté, des textes courts (généralement d’une demi-page) qui analysent les transformations à l’œuvre à Saint-Pierre-et-Miquelon et la manière dont elles font écho aux mutations globales qui affectent la planète tout entière. De l’autre, de nombreuses photographies (pleine page) en couleurs ou en noir et blanc, qui donnent à voir « non pas le rivage et l’océan tumultueux, mais la nature ordinaire, l’environnement du quotidien que l’habitude nous fait perdre de vue ». Stéphane Cordobes a su « s’arrêter, souffler et regarder le paysage ». Il nous propose une approche sensible d’un territoire, dont il ne donne quasiment pas à voir les habitants. Sans doute parce que « chaque prise renvoie moins à la réalité singulière de l’archipel qu’à la condition terrestre ». Le livre refermé demeure la question : « Où trouver l’élan individuel et collectif requis pour s’inscrire résolument dans le monde anthropocène, muter, refaire territoire ? » Si elle se pose avec acuité à Saint-Pierre-et-Miquelon, cette interrogation parcourt toutes nos sociétés.
Stéphane Cordobes, postface de Michel Lussault, Berger-Levrault, 2020
160 pages, 32 euros