Si des icônes de la variété telles que Claude François, Dalida ou Céline Dion ont eu droit à leur biopic sur grand écran, il était attendu que le cinéma se penche un jour sur nos gloires des musiques pudiquement qualifiées d’« urbaines » par l’industrie musicale.
Nous préférerons parler ici de rap, dont l’un des pionniers hexagonaux, NTM, voit aujourd’hui sa flamboyante genèse adaptée en long métrage. Machine à tubes abrasifs, du revendicatif Le Monde de demain à l’explosif Qu’est-ce qu’on attend en passant par le festif Pass pass le oinj, le groupe de Kool Shen et JoeyStarr aura marqué le genre et la décennie 1990 au fer rouge.
Il faut du cran et du métier pour s’emparer des légendes de la pop culture. Audrey Estrougo, qui a elle-même grandi en banlieue parisienne, relève brillamment le défi et reconstitue de façon convaincante le Saint-Denis fin de siècle de ceux qui se dénommaient à l’origine Suprême NTM – nul besoin de rappeler la signification outrancière de cet acronyme qui fit grand bruit.
Élevé sans mère par un géniteur qui n’a de cesse de l’humilier, le jeune Didier Morville (Théo Christine), graffeur de son état, mène une vie d’errance dans la cité Salvador-Allende. Avec Kool Shen (Sandor Funtek), jeune poète de la rue, il va monter sur scène sur un coup de bluff. L’énergie surpuissante de leur prestation démontre soudain que le rap n’est pas l’apanage des Américains, et qu’un message scandé dans la langue de Molière peut porter au-delà des barres et des tours enclavant toute une jeunesse. Après avoir écumé les MJC de l’Hexagone avec son barnum de lascars, défiant au passage les politiques (le film reconstitue la fameuse passe d’arme avec Éric Raoult sur le plateau de Paul Amar en 1996), le duo ne tardera pas à arriver au Zénith, au propre comme au figuré.
Mais Suprêmes rappelle surtout comment deux gamins sans grand avenir ont placé le 93 sur la carte, aussi sûrement que les impressionnistes Auvers-sur- Oise. Et le spectateur de réaliser que la punchline « La Seine-Saint-Denis, c’est de la bombe bébé » demeure à ce jour le meilleur slogan de l’histoire du marketing territorial. Rodolphe Casso
Audrey Estrougo, Sony
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