The Flats, en salle le 5 février
Un film de Alessandra Celesia
Les Alchimistes
Faire la guerre à ses voisins reste une notion tristement actuelle, avec le conflit qui oppose Israël au Hamas dans la bande de Gaza, et celui entre l’Ukraine et la Russie. Plus près de nous, mais plus loin dans le temps, l’Irlande du Nord a connu quarante ans de « troubles » qui ont opposé les républicains catholiques, revendiquant l’indépendance, aux loyalistes protestants, rangés aux côtés du pouvoir britannique. Plus de 3 500 personnes y ont laissé la vie, dont la moitié était des civils. L’un des quartiers de Belfast les plus touchés est celui de New Lodge, où Alessandra Celesia a posé sa caméra, pour un documentaire intimiste suivant une poignée de personnages traumatisés par cette guerre qui n’a jamais dit son nom. Joe, qui passe pour le héros de ce récit, vit seul avec son chien Freedom et se souvient d’une jeunesse émaillée d’échauffourées avec l’armée, de balles en caoutchouc, de cocktails Molotov et, surtout, du jour où son oncle a été abattu. Un évènement qui continue de le hanter.
Rythmé par les conversations entre habitants du quartier, où trônent encore des affiches réclamant la libération de prisonniers politiques, le film laisse chacune et chacun raconter ses souvenirs de cette période noire, avec pour paroxysme la mort de Bobby Sands, résistant emporté par une grève de la faim menée jusqu’au bout. Un acte qui lui vaut ici le statut de martyr. Mais, passé le conflit, d’autres troubles sont venus gangréner le quartier : la délinquance, le crack, l’héroïne, la pauvreté. Jolene, une habitante, en sait quelque chose : sa sœur est lourdement handicapée à cause de la drogue. Pour faire cesser le trafic à New Lodge, Joe, qui estime qu’« on est passé du ghetto au bidonville », envisage une grève de la faim. « Sa génération se sent comme laissée-pour-compte, explique la réalisatrice. Pendant les “troubles”, ils défendaient une cause, puis cette cause a disparu. Durant tout ce temps, ils aspiraient à laisser une trace, mais sans le savoir. »
En attendant, le conflit irlandais s’est apaisé, mais laisse chez les habitants de New Lodge une trace indélébile. On songe alors à la rancœur que les conflits actuels, en Europe ou au Proche-Orient, sont en train de générer, et du temps qu’il faudra pour, peut-être un jour, tourner la page. « Notre revanche sera le rire de nos enfants », affirmait Bobby Sands.