Fabien Benoit
Actuellement sur Arte.tv
Jusqu’à l’orée des années 2000, East Palo Alto, au sud de la baie de San Francisco, était une ville pauvre, de tradition ouvrière, d’une grande mixité sociale. Sa principale particularité est d’avoir obtenu son « indépendance » en 1983 : du statut de quartier de Palo Alto, la ville est devenue une commune à part entière. Et cela, afin d’être maître de son destin. « EPA » est en effet un berceau du mouvement pour les droits civiques et du Black Power. Ce qui n’a pas empêché la cité de connaître de profonds troubles dans les années 1990. Son taux d’homicides, le plus élevé du pays, lui vaut alors le sinistre surnom de « capitale du meurtre ». Mais ça, c’était avant.
Dans les années 2000, ce secteur de la Silicon Valley étant l’un des derniers à offrir un foncier bon marché, les jeunes pousses de la tech s’y sont installées, à commencer par Facebook. D’autres poids lourds, comme Amazon, s’engouffreront ensuite dans la brèche. Désireuses de voir leurs employés s’installer près de leurs sites, les entreprises se sont mises à acquérir et construire à un rythme soutenu. Fort logiquement, cette nouvelle ruée vers l’or a eu pour effet de faire flamber le prix des terrains et des loyers, chassant progressivement les populations modestes et précaires. Forte de son esprit de lutte, la ville ne manque pas de ressources pour réclamer une meilleure protection des plus exposés à la folie expansionniste de la tech. Surtout que 60 % des habitants d’East Palo Alto sont locataires… La série documentaire The Last Town (3 épisodes de 20 minutes) nous présente les visages de la contestation : Laura, femme de ménage ; Antonio, élu municipal ; JT, militant noir, et bien d’autres. De tracts en manifestations, de conseils municipaux en réunions de quartier, tous tentent d’enrayer le jeu de gagne-terrain qui a déjà changé le visage des villes alentour. Avec pour résultat l’arrivée d’une nouvelle population CSP+, hyper individualiste. « Facebook et Amazon apportent avec elles leur mode de vie, observe le rappeur Ad Kapone, natif d’EPA. Ils ont conçu un monde dans lequel personne ne sort. » Mais la communauté d’East Palo Alto n’a pas dit son dernier mot.
Rodolphe Casso