Isa­belle Baraud-Serfaty
(Apo­gée, 2023, 320 pages, 20 euros)

Le trot­toir : en voi­là un d’objet urbain indis­pen­sable, connu et uti­li­sé de tous, mais lar­ge­ment invi­si­bi­li­sé par les dis­cours des dif­fé­rentes par­ties pre­nantes de l’urbanisme. Il est sou­vent évo­qué d’un point de vue tech­ni­ciste (celui des réseaux) et nor­ma­tif (celui du fonc­tion­ne­ment cir­cu­la­toire) et s’échappe du voca­bu­laire dès que la ques­tion des usages sur­vient, aus­si­tôt rem­pla­cé par le terme plus englo­bant d’« espace public ».

Les tra­duc­teurs du mot side­walk pré­fèrent l’utilisation du mot « rue » plu­tôt que trot­toir. Le légis­la­teur n’en a fait un objet juri­dique que très récem­ment. Bref, les trot­toirs semblent être ran­gés au grade d’impensé. Ici, Isa­belle Baraud-Ser­fa­ty repo­si­tionne les trot­toirs comme espaces de vie, de ren­contres, sur lequel se jouent des enjeux éco­no­miques, d’images, de coha­bi­ta­tions et de pra­tiques en constante mutation.

De nou­veaux acteurs liés aux déploie­ments du numé­rique (nous sommes nom­breux à avoir en poche un smart­phone qui bou­le­verse notre rap­port à la consom­ma­tion, aux lieux et aux par­cours) et des nou­velles mobi­li­tés (comme l’émergence, entre autres, des trot­ti­nettes élec­triques) se sai­sissent de ces espaces.

L’approche est d’abord éco­no­mique, choix de l’auteur, de ques­tion­ner le trot­toir par le prisme des opé­ra­teurs. Y est décryp­té tout un pro­ces­sus d’utilisation par le pri­vé, lié au déploie­ment de nou­velles offres ancrées dans une logique de mar­ché. Les occu­pa­tions s’y mul­ti­pliant, la ques­tion posée est celle de sa régu­la­tion et de la cap­ta­tion de sa valeur. Dépas­sant son rôle, il est deve­nu un seuil, un espace d’attente mar­chan­di­sé pour celui qui fait la queue devant son com­merce, attend sa livrai­son de colis-repas ou son VTC.

Le trot­toir a ain­si une valeur qui pour­rait demain être moné­ti­sée par les col­lec­ti­vi­tés. Ce livre, par une approche his­to­rique et une décons­truc­tion de notre rap­port col­lec­tif aux espaces « com­muns », nous incite à ques­tion­ner la cor­ré­la­tion entre espaces dits publics et pri­vés dans un contexte de muta­tion pro­fonde : sociale, éco­lo­gique et numé­rique. En le refer­mant, vous ne ver­rez cer­tai­ne­ment plus les trot­toirs comme avant ! Lieux mar­chands et leviers de fis­ca­li­té sous-esti­més où se joue une par­tie des gou­ver­nances ter­ri­to­riales de demain.

Elias Sou­gra­ti