Une autre Rome

Titre:

Description :

Une autre Rome

« Les métamorphoses d’une métropole : du “miracle italien” au “chaos urbain” ? (1950–2020) »

 

Si la ville éter­nelle ne cesse de han­ter l’imaginaire occi­den­tal depuis le XVIe siècle, on observe que l’historiographie fran­çaise s’est rela­ti­ve­ment peu inté­res­sée à la Rome contem­po­raine comme si celle-ci avait été figée dans une impas­si­bi­li­té héroïque, une fan­tas­ma­go­rie poé­tique à laquelle l’italophilie du XIXe siècle n’est cer­tai­ne­ment pas indifférente.

Est-ce pour rele­ver un tel défi que Pierre Gras vient de livrer, quinze ans après son pre­mier essai (Suite romaine), une étude au sous-titre élo­quent : Les méta­mor­phoses d’une métro­pole : du « miracle ita­lien » au « chaos urbain » ? (1950–2020). Est-ce éga­le­ment pour ten­ter de répondre à la ques­tion déjà posée en 2005 : « Où est pas­sée Rome ? » que l’auteur se livre à une nou­velle enquête au che­vet de la ville éter­nelle qu’il scrute avec délice, mais aus­si une rare luci­di­té depuis plu­sieurs décennies ?

Com­ment se défi­nit cette « autre Rome », celle de la seconde moi­tié du XXe siècle, celle du miracle ita­lien des années 1950–1960 et de l’époque actuelle ? Com­ment appré­hen­der l’urbs dans ses mul­tiples dimen­sions et toute l’épaisseur his­to­rique néces­saire ? consi­dé­rant que la ville s’est construite au fil des siècles sur une idée, celle de la per­ma­nence du fait urbain dans une visée des plus équi­voques tant cette « éter­ni­té romaine » sus­cite à la fois fas­ci­na­tion, doutes et sen­ti­ments désabusés.

Rome inter­roge – il est vrai plus qu’aucune autre ville – constam­ment les rap­ports entre le temps et l’espace tout en souf­frant du mythe de la « fata­li­té his­to­rique », qui aurait pré­si­dé au choix de la ville comme capi­tale du nou­vel État italien.

Un saisissant portrait de ville

Dans le sillage d’un Bene­vo­lo et des figures qui appré­hendent la mor­pho­ge­nèse et les dyna­miques urbaines sur un temps long, Pierre Gras livre aujourd’hui un sai­sis­sant por­trait de ville ser­vi par une curio­si­té jamais prise à défaut. Tout en s’éloignant de la forme du récit – concept opé­ra­toire cher à l’auteur – l’ouvrage pour­suit l’ambition de cer­ner la per­son­na­li­té com­plexe et mul­tiple de l’« infra­monde » des ban­lieues romaines (Agro roma­no).

Plus encore que la ville-centre et les ques­tions patri­mo­niales, qui servent de décor à la nar­ra­tion, ce sont les péri­phé­ries et les inter­stices, les zones non défi­nies qui inté­ressent l’auteur, comme autant d’épicentres des para­doxes romains.

Mais der­rière les épi­neuses ques­tions sou­le­vées par la ges­tion de l’aire métro­po­li­taine de Rome, s’esquisse un autre por­trait de la ville – plus char­nel si l’on consi­dère que Rome est deve­nu un per­son­nage à part entière –, celle d’une socié­té en proie à une dés­illu­sion crois­sante au terme du miracle ita­lien, « une crise per­ma­nente » selon l’auteur, dans un contexte mar­qué para­doxa­le­ment par un foi­son­ne­ment intel­lec­tuel et cultu­rel exceptionnel.

L’une des qua­li­tés de l’ouvrage est pré­ci­sé­ment de pla­cer le fait urbain à mi-che­min entre une his­toire poli­tique et cultu­relle, une his­toire des formes et une his­toire sociale et éco­no­mique. C’est l’idée de labo­ra­toire qui se dégage net­te­ment du cas romain « tout en posant à l’aménagement urbain la ques­tion inévi­table de l’articulation des échelles et des tem­po­ra­li­tés », avec pour corol­laire les ambi­guï­tés que la ville contem­po­raine cultive avec son patri­moine : matrice ou faire-valoir à l’heure des métro­poles ? Faut-il par­ler de rési­lience romaine comme le sug­gère Pierre Gras en épi­logue ? « Ville invi­sible » ou véri­table « miracle permanent » ?

En tout état de cause, ce nou­vel opus ne tar­de­ra pas à s’imposer comme une réfé­rence obli­gée, ne serait-ce qu’en rai­son de l’apport pro­fon­dé­ment ori­gi­nal qu’apporte l’étude de la « ques­tion romaine » à l’intelligence du monde contem­po­rain à tra­vers ses dif­fé­rents para­digmes : patrimoine/modernité, centre/périphéries, local/global, politique/société civile. / Phi­lippe Dufieux

Pierre Gras, Libel, 2021
288 pages, 21 euros 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus