Amau­ry Bünd­gen, Lloyd Ché­ry, Emma­nuel Delporte

(Cas­ter­man, 2024, 136 pages, 22 euros)

Un cata­clysme a rava­gé la pla­nète, le Soleil a dis­pa­ru der­rière un nuage noir et, avec lui, la vie. Les der­niers repré­sen­tants de l’humanité se lancent alors dans une folle quête : éri­ger des tours sur le sol car­bo­ni­sé. Pen­dant des siècles, sans relâche, ingé­nieurs, arti­sans et ouvriers, régis par une impi­toyable hié­rar­chie, vont tutoyer les cieux à un rythme effré­né, selon des condi­tions gour­mandes en vies humaines. Car les obs­tacles à l’érection de ces orgueilleux bâti­ments sont nom­breux : tem­pêtes, oxy­gène raré­fié, soleil brû­lant, attaques de monstres volants… Sans oublier la pres­sion constante des punis­seurs char­gés de faire res­pec­ter les délais, et des exter­mi­na­teurs prêts à faire un car­ton en cas d’émeute. Ugo, chef de chan­tier vieillis­sant, ne le sait que trop bien et se donne corps et âme pour atteindre les objec­tifs fixés par l’impitoyable chambellan.

Mais une ques­tion reste en sus­pens : pour­quoi tous ces efforts ? À quelles fins l’empereur exige-t-il que les construc­tions fran­chissent la tro­po­sphère, vers ces cieux inat­tei­gnables ? Le para­dis est-il au bout de cette route ver­ti­cale ? Qu’importe. Comme l’affirme le Ver­tex, texte sacré de cette huma­ni­té per­due dans les airs, « seule la pous­sée compte ». Sous cou­vert de pana­cher les mythes de Sisyphe et d’Icare, ce conte violent et cruel aborde en réa­li­té le monde du tra­vail, la péni­bi­li­té et la vacui­té des tâches. Rap­pe­lons que Ver­ti­géo est adap­té d’une nou­velle d’Emmanuel Del­porte, publiée, en 2017, dans le recueil Au bal des actifs – demain le tra­vail, aux édi­tions La Volte, qui n’ont pas la répu­ta­tion d’être des chantres de l’ultralibéralisme.

Le scé­na­rio est signé Lloyd Ché­ry, qui s’est illus­tré jusqu’ici en tant que jour­na­liste spé­cia­liste de la science-fic­tion pour Le Point, France Inter ou Métal Hur­lant, et porte à lui seul le pod­cast de réfé­rence, « C’est plus que de la SF », avec plus de 200 épi­sodes au comp­teur. Quant au splen­dide des­sin de cette œuvre cré­pus­cu­laire, il est signé Amau­ry Bünd­gen, à qui l’on doit, chez le même édi­teur, les ambi­tieux Ion Mud (2021) et Le Rite (2022), éga­le­ment exé­cu­tés dans un remar­quable noir et blanc. Ver­ti­géo est un roman gra­phique qui, par sa pro­fon­deur et sa qua­li­té d’exécution, donne bel et bien le tour­nis et s’annonce comme l’un des grands crus de l’année 2024 pour la BD science-fictionnelle.

Rodolphe Cas­so