Villes voraces et villes frugales
L’ouvrage collectif codirigé par Gilles Fumey et Thierry Paquot apporte à la question de l’approvisionnement alimentaire des villes un éclairage bien venu. Depuis quelques années, un nombre croissant de villes françaises et européennes ont en effet développé diverses formules d’agriculture urbaine et de circuits courts alimentaires et elles cherchent désormais à structurer ces initiatives autour de « projets alimentaires territoriaux » (PAT). Si le principe paraît judicieux, l’objet et le contenu de ces politiques restent souvent très flous.
Les 11 contributions ici réunies croisent les regards de plusieurs disciplines (agronomes, sociologues, urbanistes, responsables politiques) sur des retours d’expérience puisés à Amiens, Grande-Synthe, Lyon, Denver, Détroit, Rosario ou Letchworth (la première cité-jardin expérimentale créée en 1903 par Ebenezer Howard). L’enseignement majeur qui se dégage est la très grande diversité des objectifs visés, des leviers activés, et des publics concernés par les projets alimentaires territoriaux. Ainsi, les objectifs peuvent être à la fois sanitaires, écologiques, urbanistiques, économiques, sociaux, éducatifs ou stratégiques.
Du côté des leviers, les commandes publiques, les contrats d’approvisionnement, la création de coopératives, les potagers partagés, les fermes pédagogiques, les conservatoires de semences, les acquisitions de foncier agricole, les plans d’urbanisme, les marchés de plein air, les circuits logistiques, la coproduction des innovations, la plantation d’arbres fruitiers, l’agriculture hors-sol et les évènements symboliques montrent la richesse de la boîte à outils. Et ils s’adressent à des publics tout aussi divers : bobos urbains, populations en surpoids, scolaires, chômeurs, agriculteurs, exploitants de services publics, aménageurs ou urbanistes.
Cet inventaire à trois dimensions impose vite l’idée qu’un projet alimentaire territorial ne peut ni s’improviser ni se plaquer sur un territoire. La formulation d’une stratégie est d’autant plus nécessaire que la question alimentaire porte une très forte charge symbolique. Le mythe du « retour à la terre nourricière » et son exploitation politique ont souvent inspiré des décisions peu pertinentes. Cet ouvrage vivant et fort bien documenté constitue donc une excellente introduction à la définition des projets alimentaires territoriaux. / Jean Haëntjens
Gilles Fumey et Thierry Paquot (dir.), CNRS éditions, 2020
240 pages, 18 euros