Le White Building est un immeuble historique du cœur de Phnom Penh conçu par l’architecte cambodgien Lu Ban Hap et le franco-ukrainien Vladimir Bodiansky en 1963, suivant un plan d’urbanisme du modernisateur Vann Molyvann, à l’époque du roi Sihanouk. Le bâtiment était alors une résidence d’État destinée aux fonctionnaires du ministère de la Culture dans laquelle a grandi le réalisateur Kavich Neang, dont le père était sculpteur.
Après avoir filmé le White Building dans son documentaire Last Night I Saw You Smiling (2019), le cinéaste remet en scène la barre d’habitation, mais cette fois-ci dans une fiction où les habitants sont poussés par le gouvernement à libérer les lieux avant destruction.
Quand il ne passe pas ses soirées à donner des spectacles de danse avec ses copains ou sillonner à moto une ville en pleine mutation, le jeune Samnang, 20 ans, assiste au combat de son père pour permettre à la population du modeste « Building » de quitter les lieux dignement. Le ministère de l’Aménagement du territoire propose aux propriétaires de racheter les logements 900 $ du mètre carré et envoie régulièrement ses agents mettre la pression aux occupants.
Les réunions fiévreuses de copropriétaires, menées par le père de Samnang, font ressortir la même problématique que dans d’autres grandes villes du monde en proie à la gentrification : avec un prix pareil, personne ne pourra retrouver un logement en centre-ville, la valeur de la pierre montant aussi vite que les nouveaux immeubles autour d’eux. Dans les rangs des irréductibles, on évoque même des précédents inquiétants : « D’autres ont été chassés à coups de fusil ! »
Pendant ce temps, le White Building poursuit sa lente agonie : murs lépreux, moisissures géantes, lézardes béantes, parties communes en ruine… L’immeuble est un vaisseau fantôme et ses habitants les spectres d’un ancien monde. Atteint de gangrène au pied, le père de Samnang se décompose lui aussi, comme si le mal qui rongeait son logis gagnait jusqu’à ses propres chairs.
Ce n’est pas spoiler le lecteur que de préciser que le White Building n’existe plus. Alors que le terrain avait été acquis en 2014 (à prix d’or) par une société japonaise, le bruit court aujourd’hui qu’une compagnie hongkongaise entend y construire un casino. Rien ne va plus. Rodolphe Casso
Kavich Neang, Les Films du Losange
actuellement en salle