Cécile Helle : « Un mandat très solidaire, mais très solitaire »
Élue maire d’Avignon en 2014, Cécile Helle a annoncé en février dernier qu’elle ne briguerait pas un troisième mandat en 2026. Pour cette géographe de formation, qui fut également vice-présidente à la culture de la Région Paca (2010−2014) et première vice-présidente chargée des finances et du développement économique du Grand Avignon (2014−2020), l’heure est au bilan de douze années d’action municipale dans une ville qui doit faire face à de forts enjeux climatiques, urbanistiques, sociaux, culturels, patrimoniaux ou sécuritaires. L’édile se confie aussi, sans fard, sur les réalités de la vie de maire aujourd’hui.
Quels sont les grands défis que vous retiendrez au cours de ces douze années passées à la tête de la mairie d’Avignon ?
Je retiendrai d’abord le contexte de crise généralisée auquel nous avons été confrontés, dont une qui est pérenne : la crise climatique. Elle oblige à aménager et penser sa ville différemment de ce que pouvaient faire les maires il y a encore vingt ans. Ensuite, pendant mon second mandat, à cette crise climatique sont venues s’ajouter la crise sanitaire du Covid qui est venue déstabiliser nos façons de faire et nos croyances – jamais personne n’aurait pu imaginer que l’on se retrouve confinés, à plusieurs reprises, à l’échelle mondiale –, mais aussi la crise énergétique suscitée par la guerre en Ukraine. De plus, la France est soumise, depuis un an, à une crise politique, avec une instabilité institutionnelle comme on n’en avait jamais connu.
C’est donc dans un contexte très particulier que les maires ont dû œuvrer avec leurs équipes lors de la dernière décennie. Cela a conforté l’idée que le maire symbolisait le niveau politique de proximité, et était le plus susceptible d’accompagner au mieux, d’apporter des réponses et de protéger ses habitants. Mais aussi d’anticiper face aux tendances climatiques lourdes qui sont à l’œuvre ; et donc de montrer l’exemple et le chemin, même si c’est compliqué, même si cela vient percuter des modes de vie et des habitudes que l’on a tous, les élus aussi, puisque nous habitons nos villes de la même manière que n’importe quel citoyen. On se rend bien compte, lorsque l’on propose telle action ou décision, des incidences que cela aura. Mais si l’on considère que c’est le chemin qu’il faut emprunter pour tenter de limiter la catastrophe qui vient sur nous, alors il faut le prendre ; et c’est un rôle qui m’a plu aussi. C’est ainsi que je conçois le rôle d’un maire.
Pourquoi avoir décidé de ne pas vous représenter pour un troisième mandat ?
Quand je me suis présentée en 2014 aux municipales, j’ai annoncé que l’idéal serait, pour moi, de faire deux mandats, et j’ai eu cette opportunité. J’aurais ressenti une vraie frustration dans le cas contraire, car j’avais impulsé beaucoup de projets et j’avais une vision pour Avignon qui allait au-delà d’un seul mandat. Le deuxième mandat m’a donc permis de voir l’aboutissement de projets que j’avais initiés au début de ma prise de fonction, comme la rénovation de l’école Louis-Gros dans un écoquartier, ou la transformation du centre historique pour en limiter la circulation automobile, le rendre plus apaisé et donc plus attractif. Par ailleurs, j’avais pris devant les Avignonnais l’engagement d’être un maire à 100 %, et c’est ce que j’ai été, puisque j’ai démissionné de mon mandat de vice-présidente de la Région Paca et que je ne me suis présentée à aucune élection intermédiaire.
Deux mandats, c’est un bon timing, c’est le temps nécessaire pour impulser une transformation dans sa ville, pour montrer le chemin et pour, idéalement, être en capacité de passer le relais à d’autres, qui vont s’inscrire dans la continuité de ce que vous avez voulu faire, mais avec d’autres personnalités – car un maire doit mettre beaucoup de sa personnalité dans la manière dont il porte un projet pour sa ville. J’essaierai de faire en sorte que cette continuité se fasse, comme dans le cas de territoires tels ue Nantes, Rennes, Lille ou Paris. Les maires successifs avaient des personnalités différentes – comme Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo, ou Jean-Marc Ayrault et Johanna Rolland –, mais ils partageaient la même vision de leur ville et les mêmes fondamentaux. Et puis un mandat de maire nécessite beaucoup d’énergie, une mise entre parenthèses de votre vie personnelle, et donc un choix de vie. Mais, pour moi, un choix de vie a un début et une fin, et je n’avais pas du tout envie de faire le mandat de trop. Or, un troisième mandat est toujours compliqué ; j’ai pu rencontrer des élus dans cette situation et ce n’était pas, selon moi, leur plus réussi. Il faut surtout éviter de ne plus avoir la même énergie, de ne plus avoir autant d’idées pour votre ville et d’envies pour vos habitants. Il faut donc savoir passer le relais en se disant que d’autres que soi peuvent être plus utiles. Je n’étais moi-même plus sûre de pouvoir continuer pendant six ans avec la même énergie, le même investissement, le même engagement pour Avignon.
L’école élémentaire Louis-Gros, à Avignon, a été réhabilitée (2018−2020) dans le cadre du NPNRU.
Comment avez-vous composé avec la dimension métropolitaine du Grand Avignon ?
J’ai candidaté deux fois pour en être présidente, car la montée en puissance des intercommunalités a impliqué un transfert de compétences vers ces entités. Il y a beaucoup d’enjeux pour Avignon qui se jouent à cette échelle. Ce n’est pas qu’une juxtaposition de communes, mais une association de villes qui considèrent partager un destin commun, le même bassin de vie, les mêmes enjeux. Le Grand Avignon doit encore progresser sur cette envie commune de faire projet et sur l’idée qui voudrait que les élus de la grande ville soient les grands méchants loups qui vont manger tout le monde.
En tant qu’ancienne élue à la Région, je sais ce que signifie fabriquer de la politique consensuelle à l’échelle d’un territoire, faire projet avec d’autres pour répondre aux enjeux, et je n’ai aucun problème avec ça. Lors de mon premier mandat de maire, ça n’a pas été simple avec l’exécutif et les deux présidents successifs du Grand Avignon [Jean-Marc Roubaud, puis Patrick Vacaris, ndlr]. Lors du second mandat, avec Joël Guin, on a été en dialogue et on a commencé à construire du commun au bénéfice des Avignonnais et des habitants du Grand Avignon.
Comment analysez-vous les démissions en cascade et les burn-out de maires relayés de plus en plus fréquemment dans les médias ?
Je pense que c’est un beau gâchis démocratique, car toutes ces personnes, quand elles ont voulu devenir maires, devaient être profondément attachées à leur territoire et leur commune, que ce soit un village ou une grande ville. Aujourd’hui, il n’y a pas tant de citoyens qui acceptent de s’engager à la fois pour les autres et pour le commun. Le mandat municipal est un collectif, une équipe, mais la responsabilité pèse sur les épaules du maire. Si je devais définir ce mandat, je dirais qu’il était à la fois très solidaire et très solitaire, car, au final, vous avez beau demander l’avis des élus qui vous accompagnent et des citoyens, c’est à vous que reviennent les décisions.
Pour les maires de villes plus petites qu’Avignon, avec des moyens financiers exsangues aujourd’hui, ça devient compliqué. Quand vous faites corps avec votre commune, vous croyez profondément aux projets. Et ceux qui démissionnent n’arrivent peut-être pas à mener à bien leurs projets alors qu’ils sont convaincus que ce sont ceux dont leur ville a besoin. On peut en ressentir une très grande frustration qui peut conduire à un désabusement.
Comment avez-vous composé avec les restrictions budgétaires ?
Nous connaissons depuis 2014 des baisses de dotation de l’État, ce qui est une tendance lourde. Les gouvernements qui se sont succédé, pourtant de couleurs politiques différentes, n’ont pas remis en cause cette baisse. Ça rend l’exercice de l’action locale et municipale plus compliqué, d’autant plus que nous n’avons pas voulu actionner le levier de la fiscalité locale depuis que je suis en poste. Et finalement, le moins respectueux du dogme budgétaire, c’est l’État. C’est lui qui a creusé le déficit public, pas les collectivités territoriales. C’est facile, une fois les dégâts constatés, de venir nous ponctionner pour participer à l’effort. Sauf que ce sont les collectivités qui portent le sport après l’année olympique que nous avons connue, ainsi que les cofinancements les plus importants pour la culture ou encore la création des CCAS [centres communaux d’action sociale, ndlr] et de politiques sociales face à une crise inédite comme le Covid…
À ce sujet, quand il a fallu commander des thermomètres dans le cadre de la campagne de vaccination, le préfet du Vaucluse m’a appelée, car il ne savait pas comment s’y prendre et était bien content de pouvoir compter sur une collectivité qui avait suffisamment de souplesse pour en commander rapidement et les répartir dans les différents centres de vaccination mis en place. Il faudrait donc renforcer le niveau local, qui reste le plus près de la réalité des Françaises et des Français et de leurs difficultés de vie. C’est ce niveau-là qu’on vient ébranler et c’est ça qui, selon moi, a fait réagir les maires lors du Congrès 2024 [au premier jour du 106e Congrès des maires de France, de nombreux élus ont porté une écharpe noire par-dessus leur écharpe tricolore pour exprimer leur mécontentement quant aux décisions budgétaires de l’État], car ils ont trouvé cela très injuste.
Quand avez-vous compris qu’Avignon serait un territoire fortement concerné par le réchauffement climatique, et qu’avez-vous entrepris à ce sujet ? Votre formation de géographe vous a‑t-elle permis de comprendre plus rapidement la situation ?
J’en avais conscience, mais les choses se sont imposées à moi, toujours plus fortement, au fil des deux mandats. En tant que géographe, j’ai peut-être une vision plus développée que quelqu’un qui n’est pas sensibilisé à ces enjeux territoriaux, et je suis persuadée que, si des villes comme Avignon ne prennent pas le virage de ce réchauffement climatique, leur attractivité territoriale sera remise en question tôt ou tard. Nous cherchons aujourd’hui à atténuer ces effets, mais aussi à adapter notre ville pour qu’en 2050, il soit toujours possible de vivre à Avignon dans de bonnes conditions.
Le jardin éphémère estival, sur le parvis du musée du Petit Palais, sera-t-il pérennisé ?
Le festival d’Avignon, évènement phare de la ville, est-il menacé par la hausse des températures ?
Nous allons être obligés de vivre nos villes différemment, et c’est aussi vrai sur le plan culturel. Un évènement positionné au mois de juillet, comme le festival d’Avignon, qui est l’un des plus chauds de l’année, oblige les organisateurs à tenir compte du changement climatique. Après, un certain nombre de spectacles sont proposés en fin d’après-midi et début de soirée, quand la chaleur est plus supportable. Je crois beaucoup à la ville des temporalités et à la façon dont on réinterprète notre temps de vie et celui de la ville. Ce dernier s’examine à l’aune d’une journée, mais il faudrait aussi le faire à l’aune d’une année ; je pense que nos villes n’ont pas suffisamment pris en compte les saisonnalités. Un monument comme le palais des Papes, où il peut faire très chaud l’été, affiche presque les mêmes horaires en janvier qu’en août. En Andalousie, l’été, les sites touristiques sont fermés entre 14 heures et 17 heures, mais restent ouverts jusqu’à 22 heures.
À Avignon, il y a aussi aujourd’hui une vraie problématique sur les horaires d’ouverture des commerces. Un samedi de grande chaleur, à 14 heures, la zone piétonne est déserte, mais les magasins sont ouverts. Dans ce cas, je préférerais faire mes courses à 20 heures, mais presque tout est alors fermé.
Rodolphe Casso et Gilles Périlhou
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Crédits : Ville d’Avignon ; Lila Castillo