« Les maires sont-ils prêts pour une nouvelle étape dans la construction du Grand Paris ? »

À l’approche des élections municipales, le collectif Fluctuat publie Pour en finir avec le Petit Paris (Archicity, 2024). L’ouvrage expose les défis d’un territoire demeurant profondément divisé entre Paris et sa grande périphérie, et plaide en faveur d’une stratégie commune pour faire émerger une métropole solidaire, dépassant de fortes inégalités spatiales, sociales et économiques. Entretien avec Simon Ronai, l’un des auteurs.

Simon Ronai, crédit : D. R. 

Pourriez-vous présenter le collectif Fluctuat et ses objectifs dans la réflexion sur le Grand Paris ?

Le collectif Fluctuat est constitué de consultants, d’anciens collaborateurs de la mairie de Paris, de chercheurs, d’urbanistes, qui ont pour point commun d’avoir travaillé sur la question parisienne. Originellement, nous pensions proposer un ouvrage sur Paris, puis la réflexion a élargi les contributions à l’échelle métropolitaine. Notre souhait est que cet enjeu soit constitutif des programmes municipaux, et que toutes les équipes politiques qui vont se présenter abordent cette question, quitte à développer des points de vue divergents. L’interpellation de ce livre est d’alerter sur le fait que cette problématique est totalement occultée, et que les campagnes municipales continuent de se traiter exclusivement à l’échelle locale.

On apprend que le Grand Paris est un concept géopolitique théorisé depuis 1860. Comment le définissez-vous aujourd’hui ?

C’est d’abord un enjeu national dans un pays très centralisé, où la relation entre l’État et la capitale a toujours été complexe. L’État s’est longtemps méfié de Paris, ce qui explique qu’il n’y ait pas eu de maire jusqu’en 1977, et que la ville a été longtemps dirigée directement par l’État. Pourtant, la question du bon fonctionnement de cette agglomération en constante expansion s’est toujours posée. La question reste ouverte : faut-il renforcer Paris, pour le bénéfice de tout le pays, ou freiner sa croissance, comme le suggèrent les théories du « désert français » ou de « la France périphérique » ? Avec la décentralisation, on pensait que les maires s’empareraient de ce débat ; en réalité, chacun est retourné dans sa commune.

Définir le Grand Paris est un véritable casse-tête, et je constate que le périmètre de la métropole reste flou sur les plans technique et politique. La limite institutionnelle actuelle n’a pas vraiment de sens et la notion de « zone dense » ne fait pas consensus. Il n’existe pas de correspondance claire entre l’aire urbaine, l’aire métropolitaine, la zone construite et ses représentations institutionnelles.

Un autre enjeu majeur s’est imposé : l’adaptation à la crise climatique et la transition écologique. Les questions de pollution, de précarité ou de vulnérabilité énergétique obligent à considérer un territoire élargi qui dépasse les frontières administratives actuelles. Ainsi, l’Oise fonctionne davantage avec le Grand Paris qu’avec la Région Hauts-de-France. Face à cette complexité et à l’échec relatif des tentatives de construction métropolitaine, notre approche dans le livre est volontairement prudente : nous ne proposons pas de réforme institutionnelle tranchée. Nous pensons qu’il faut rouvrir le débat, sans prétendre apporter de solution toute faite, car les limites du Grand Paris comme l’analyse de ses dynamiques restent un sujet mouvant et controversé.

Justement, il n’y a pas vraiment d’autorité métropolitaine. Vous qualifiez la Métropole du Grand Paris de « coquille vide » ; comment y remédier ?

Depuis 2016, la Métropole fonctionne en apparence, mais elle ne fait pas ce pour quoi elle avait été conçue. À l’origine, elle devait disposer de pouvoirs, de moyens financiers et d’une autorité politique supracommunale, mais les maires ont déconstruit ce projet. Aujourd’hui, c’est un lieu de discussion, de débat et de redistribution marginale de moyens financiers, sans véritable pou- voir pour orienter le développement métropolitain, à la condition que les maires le décident. C’est pourquoi ce sujet devrait être abordé lors des prochaines élections municipales, afin que les candidats expliquent clairement s’ils sont pour le renforcement des moyens et des pouvoirs de la Métropole ou pour sa suppression, pour le maintien des pouvoirs des maires, notamment en matière d’aménagement et de construction de logements, s’ils sont pour le mode de décision consensuel actuel ou pour des choix politiques plus tranchés.

Le Grand Paris Express (GPE) pourrait-il être un levier de transformation métropolitaine ou risque-t-il de renforcer les déséquilibres actuels ?

À l’origine, le Grand Métro devait relier rapidement une dizaine de clusters économiques, puis, après négociation avec les élus, le projet compte désormais 68 gares pour garantir une desserte plus fine des quartiers. Pour ce projet inscrit dans le long terme, il est difficile de prévoir ce qui se passera dans dix ou quinze ans. On avait laissé entendre que beaucoup de ces gares deviendraient de véritables pôles urbains, associant emplois, équipements et logements, et donneraient vie à de nouveaux pôles en banlieue. Les bilans actuels montrent que le GPE n’a pas encore contribué au rééquilibrage territorial : la majorité des bureaux se concentrent toujours autour des gares à l’ouest, et les nouveaux quartiers à dominante habitat ne permettent pas un rééquilibrage en matière de développement économique. Les dynamiques du marché immobilier semblent se renforcer avec l’appui des élus locaux, notamment sur la question clivante des logements sociaux.

L’autre phénomène, non anticipé, est la densification généralisée de la première couronne à mesure que les moyens de trans- port ont été étendus (lignes de métro 4, 11, 14 et tramways).

Paris reste la ville-centre et continue de concentrer l’essentiel des activités tertiaires, malgré les tentatives successives de rééquilibrage.

Le débat sur l’équilibre entre Paris et sa banlieue existe depuis plus d’un siècle. Dans la période contemporaine, les différents schémas directeurs ont tous prôné la « polycentralité », afin de développer des pôles puissants autour de Paris. La Défense est l’exemple le plus marquant, même s’il s’agit plutôt d’une extension du quartier central des affaires de Paris, rendue possible par d’importants investissements publics pour les transports et les infrastructures. Le développement du réseau de lignes RER montre que, dès les années 1960, il y avait la volonté de créer de vraies villes en dehors de Paris, par-delà les banlieues populaires existantes. Il y a un paradoxe : l’amélioration des transports a renforcé la centralité parisienne en attendant les effets espérés du Grand Paris Express. La ville de Paris reste puissante et attractive, ce qui freine l’émergence de véritables pôles alternatifs ; on observe plutôt une extension de la centralité parisienne à la première couronne, au-delà du périphérique, où le marché immobilier tend à s’unifier.

Propos recueillis par Maider Darricau

Lire la suite de cet article dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique

Crédit couverture : Lila Castillo. 

Photo : L’échangeur routier de la porte de Bagnolet vu du ciel, crédit : monpetit20e.com 

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