« Le document d’urbanisme doit être le premier rempart des populations »
Après avoir été, notamment, maire de Longjumeau (Essonne) et inspecteur général à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Philippe Schmit est, depuis 2020, le président de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) d’Ile-de-France qui examine la qualité environnementale des projets et aménagements urbains.
Comment fonctionne la MRAe Ile-de-France ?
La MRAe d’Ile-de-France est une équipe de dix experts : six sont membres de l’inspection générale du ministère de la Transition écologique et quatre ont une carrière à côté, en urbanisme, en écologie ou autre. Nous émettons des avis qui contiennent des recommandations dont la vocation est de servir aux maîtres d’ouvrage et aux autorités de décision, pour qu’ils corrigent leur projet et le réorientent si des problèmes majeurs apparaissent.
L’idée est de faire en sorte que lorsque les projets voient le jour, ils soient le plus possible bonifiés. Par exemple, il nous arrive souvent de voir des projets qui n’évaluent pas leur impact ou ne présentent pas les solutions de substitution raisonnables (SSR). Pourtant, le porteur de projet doit présenter les SSR dans son dossier. Concrètement, cela signifie qu’un élu doit démontrer qu’il a étudié des alternatives à son projet et expliquer pourquoi elles n’ont pas été retenues.
Dans l’ensemble, quelle est la qualité des projets que vous examinez ?
Les demandeurs présentent des projets dont la qualité varie selon leur capacité d’ingénierie. Dans nombre de communes de petite taille, nous constatons le recours à des bureaux d’études qui, trop souvent, préparent des PLU [plans locaux d’urbanisme, ndlr] comme on faisait des plans d’occupation des sols (POS) dans les années 1980. Ils sont encore fondés principalement sur une gestion foncière des territoires.
En revanche, on commence à avoir une dimension beaucoup plus globalisante et qualitative dans les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris ou des EPCI [établissements publics de coopération intercommunale]. Pour schématiser, plus on se rapproche de Paris, meilleurs sont les documents. Cela résulte de l’importance des populations et des moyens accordés à l’élaboration des documents d’urbanisme.
Mais une fois dit cela, il faut souligner la complexité pour les maires ou les présidents d’intercommunalités de construire des documents d’urbanisme dans un contexte très changeant. Nous sommes dans une période de prise de conscience importante des évolutions environnementales, climatiques et de biodiversité. Le droit de l’environnement évolue beaucoup.
Depuis octobre, nous disposons du plan national d’adaptation au changement climatique, lequel indique que les PLU et PLUi [plans locaux d’urbanisme intercommunaux] doivent maintenant prendre en compte le changement climatique avec la règle des 4 °C d’élévation de la température en 2100. Pour un PLU, il ne s’agit plus seulement de droit des sols ou de gabarit de construction, mais de mobilités alternatives à la voiture, d’adaptation aux 4 °C, d’énergies alternatives… T
out cela dans une ville qui est déjà constituée, 80 % de la ville de 2050 est déjà là. Pour beau- coup d’acteurs territoriaux qui ont d’abord été formés au POS, puis au PLU, puis au PLUi, ces changements sont complexes et vont très vite. Ils doivent passer à quelque chose de très novateur et repenser beaucoup de repères.
Beaucoup de structures ont du mal à l’intégrer. Un exemple simple : le NPNRU [Nouveau programme national de renouvellement urbain date de 2014] n’est pas si vieux que cela, mais il est encore sur un modèle très orienté sur la destruction. Ce n’est que depuis sept ou huit ans, avec l’arrivée de la méthode de l’analyse du cycle de vie, que l’on cherche à éviter les destructions et à trouver les polyusages d’un bâtiment dans le temps. Ça va très vite.
Dernièrement, la Ville de Paris et la Région Ile-de-France ont engagé la révision de leurs documents d’urbanisme (respectivement le PLU et le Sdrif [schéma directeur de la région Ile-de-France]). Les deux bords politiques ont revendiqué de très fortes ambitions environnementales, y voyez-vous de l’affichage ?
Il y a de l’affichage, c’est sûr, mais notre expertise porte sur le fond et non sur la communication autour des documents. Cela nous conduit à être très attentifs aux prescriptions ou aux mentions qui y figurent. Pour qu’ils aient un impact réel, il est important que les documents énoncent des objectifs chiffrés et précis.
Sur ce point, les deux documents dont vous parlez ont fait des efforts, ils sont pionniers à certains égards, mais ne vont pas assez loin et nous l’avons exprimé dans nos avis. De nombreux projets franciliens de data centers sont présentés actuellement, ils pourraient développer le chauffage urbain mais c’est un angle mort du Sdrif.
Une énergie colossale est perdue alors qu’elle pourrait servir à des centaines de milliers de logements. De même, le PLU parisien n’est pas assez ambitieux dans ses efforts de végétalisation. Le scénario à 4 °C de réchauffement d’ici 2100 est une moyenne nationale, cela signifie une hausse d’environ 7 °C en zone urbaine très artificialisée.
Comment se prépare-t-on à des canicules de cinquante jours ? Il faut de la forêt dense comme cela se fait dans le sud de l’Espagne. Bien que la Ville de Paris soit en pointe sur ce domaine, les protections prévues ne sont pas encore suffisantes. Le document d’urbanisme doit être le premier rempart de protection des populations. Globalement, je pense que les élus n’ont pas encore vraiment pris conscience du mur climatique qui est devant nous.
Propos recueillis par David Attié
À retrouver dans le numéro 442 « Planifier versus réglementer » en version papier ou en version numérique
Photos : Philippe Schmit, crédit : D. R. ; Panneau portant un PLU imaginaire dans la nature, crédit : Francesco Scatena.