« Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va »
Sarah Wertheimer est la fondatrice de la société de conseil en valorisation patrimoniale De la Friche au Projet. Elle accompagne les acteurs de la fabrique de la ville dans la programmation et le développement de projets d’activité sur des sites en renouvellement urbain et en friche.
Quelles sont les limites des approches et outils de planification et de réglementation urbaines face aux enjeux de renouvellement et de requalification des friches ? Question complexe que celle qui nous est posée ! Pour essayer d’y répondre, nous nous interrogerons tout particulièrement sur la transformation des friches économiques, auxquelles il est demandé de retrouver une nouvelle activité génératrice d’emplois. Du point de vue des propriétaires, l’enjeu est bien entendu de leur (re)trouver une valorisation financière, mais, pour les collectivités, les enjeux sont aussi de reprendre des activités qui génèrent des emplois et de (re)créer une intensité et une qualité urbaine pour que le site rayonne, bien souvent au-delà de son propre périmètre.
Les friches, définies comme des ensembles immobiliers ayant accueilli des activités économiques aujourd’hui obsolètes, posent un défi majeur : absorber les coûts de remise en état tout en répondant aux besoins d’une économie en mutation. Si la transformation vers de nouvelles activités ne se fait pas spontanément, l’enjeu est donc bien de favoriser une nouvelle programmation capable de générer des revenus suffisants pour absorber les coûts de remise en état des bâtiments. Les enjeux environnementaux ajoutent une dimension supplémentaire. La réhabilitation des friches permettrait de limiter l’étalement urbain, de préserver les terres agricoles et de revaloriser des espaces souvent situés au cœur des agglomérations. L’ambition portée pour ces sites dépasse généralement ces questions environnementales : il est fréquemment attendu que, porteurs d’une histoire, ils deviennent des points de centralité urbaine, avec une intensité d’usages qui en fait un point de destination et, parfois même, une mise en valeur du patrimoine architectural et du « déjà-là ». À ces questions s’ajoute, pour les élus locaux, la crainte de la diminution des taxes locales liée à celle des activités sur leur territoire. Et par-delà ces enjeux économiques et environnementaux, il y a urgence à répondre à l’impact social et politique du chômage, terreaux fertiles de tous les populismes. Une approche stratégique est nécessaire pour conjuguer les aspects économiques, environnementaux et sociaux afin d’aboutir à une transformation durable et efficace. La question est donc de savoir quelle méthode permet de créer les conditions de transformation de ces friches pour recréer des emplois.
Le temps révolu de la Datar
Dans les années de reconstruction de l’après-guerre, les outils de planification urbaine étaient particulièrement adaptés. Une puissance publique centralisée disposait d’une excellente connaissance des besoins des acteurs économiques, largement dominés par l’industrie traditionnelle et ses leaders. La création en 1963 de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) illustre cette période où la planification indicative, mais centralisée, permettait de répondre aux besoins de développement territorial avec efficacité. On a, bien sûr, tous en tête les grands projets des années 1960 et 1970 comme la mission Racine et l’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, la création des métropoles d’équilibre avec ces pôles économiques puissants soutenus par des investissements en infrastructures routières et ferroviaires, ou l’aménagement du plateau de Saclay. Cependant, le contexte actuel semble aujourd’hui bien plus complexe, multiple et éclaté. La mondialisation, l’accélération des mutations économiques et les nouvelles attentes sociétales bouleversent les certitudes. Les approches top-down de planification urbaine ont perdu de leur pertinence face à des dynamiques territoriales plus diffuses et interconnectées. Cette question de la programmation d’activité semble complexe, car si la planification urbaine reste de prérogative publique, sa mise en œuvre dépend d’initiatives privées.
Or, la logique des uns est en tout point opposée à celle des autres, que ce soit par leur temporalité, leur échelle et les outils. Les acteurs économiques évoluent dans un environnement marqué par une concurrence mondiale intense et une financiarisation croissante. Ils sont confrontés à des évolutions rapides, parfois brutales, qui influencent leurs choix stratégiques. Les entreprises s’inscrivent néanmoins dans des territoires spécifiques, où elles bénéficient d’écosystèmes locaux : sous-traitants, fournisseurs, clients, écoles, mais aussi réseaux de transport et infrastructures. Ces interactions nécessiteraient une planification flexible et réactive. De leur côté, les acteurs publics responsables de la planification urbaine sont soumis à des temporalités bien plus longues. L’élaboration des documents stratégiques, tels que les SCoT (schémas de cohérence territoriale), PLU (plans locaux d’urbanisme) ou PLUi (PLU intercommunaux), peut prendre des années et leur durée de validité excède souvent une décennie. De plus, ces documents s’inscrivent dans des cadres administratifs rigides qui ne reflètent pas toujours la réalité des bassins économiques, transcendant les limites des communes ou des régions.
Sarah Wertheimer
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Photos : Friche de La Seyne-sur-Mer, dans le département du Var, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, crédit: Sarah Wertheimer. ; Panneau portant un PLU imaginaire dans la nature, crédit : Francesco Scatena.