« Nous avons très fortement diminué nos investissements sur la route »

Pascal Berteaud, directeur général du Cerema, et Didier Jan, responsable des secteurs d’activité sur la conception et la gestion de patrimoine d’infrastructures, dressent un état des lieux du réseau routier français et exposent les actions mises en place pour intervenir plus efficacement à l’échelle nationale.

Pascal Berteaud / Photo : Jean-Claude Guilloux
Didier Jan / Photo : D.R

Quelles sont les principales problématiques posées aujourd’hui par les infrastructures routières ?

Pascal Berteaud : Un chiffre résume bien les enjeux : il y a encore dix ou quinze ans, dans les classements internationaux relatifs aux infrastructures routières, la France était première. Aujourd’hui, nous sommes 18e. Car nous avons très fortement diminué nos investissements sur la route. Et cela, pour plusieurs raisons: l’endettement, les dépenses publiques et le fait que depuis le Grenelle de l’environnement [organisé en 2007, ndlr], on a entretenu l’illusion qu’il ne fallait plus s’occuper de la route. Résultat : un audit de la Cour des comptes de mars 2022 pointe un patrimoine vieillissant, mal connu, et un manque de cohérence et d’efficience dans la pratique des gestionnaires.

Depuis la décentralisation de 1982, en matière d’évaluation de la qualité des routes départementales, chacun fait à sa manière : sur 20 départements, il y a 20 méthodes différentes – sans parler de ceux qui n’ont développé aucune méthode. On a commis l’erreur de dire : « Je décentralise, donc il n’y a plus d’action nationale. » Et donc, aujourd’hui, nous n’avons pas d’indicateur de l’état des routes. Les enjeux sont de remettre les moyens pour avoir une connaissance fine du patrimoine routier, avec des méthodes communes, et d’augmenter les dépenses de maintien : un euro non dépensé aujourd’hui dans la résilience des infrastructures – en tenant compte des défis liés au réchauffement climatique – impliquera 5 ou 6 euros de dépense dans trente ans.

Il y a aussi un sujet d’adaptation aux évolutions des modes de déplacement. Par exemple, les poids lourds, qui sont… toujours plus lourds. On a progressivement augmenté le poids standard de 38 à 44 tonnes, et certains demandent de passer à 48 tonnes. Or, la différence d’agressivité entre un poids lourd et un véhicule léger est quasi infinie, c’est pourquoi on écrit souvent qu’« un camion de 44 tonnes use 1 000 000 de fois plus une route qu’une voiture ». En passant à 48 tonnes et à nombre d’essieux constant, l’agressivité augmente de façon exponentielle. L’usure de la route est quasi exclusivement due aux poids lourds.

Comment moderniser le réseau routier existant à l’aune du changement climatique ? 

P.B.: C’est le grand sujet des prochaines années. Une route est faite de couches de cailloux successives avec, par-dessus, un mélange de cailloux et de colle. Son dimensionnement dépend de deux paramètres: la température et l’hygrométrie. Soit les deux paramètres qui vont le plus fortement varier avec le changement climatique. De façon générale, il faut un entretien lourd tous les quarante ans, et des entretiens réguliers pourraient permettre une mise à jour de la route au fil des interventions. Mais ces entretiens réguliers ne sont pas toujours faits… On a ici un double sujet assez fort et il n’y a pas d’échappatoire.

Avez-vous des exemples de projets, de localités, de réseaux, d’infrastructures qui peuvent illustrer ces questions d’entretien, de modernisation ou de résilience ?

Didier Jan : Pour la gestion de route, nous avons mis en place avec l’État, depuis 2018, la méthode « IQRN 3D », qui permet d’évaluer le réseau routier national non concédé avec un appareil à grand rendement, équipé de lasers, qui roule dans le flot de la circulation et l’ausculte comme un scanner. Sur le réseau des collectivités, nous avons développé le projet Gerese (1), qui était une méthode pour mieux gérer le réseau secondaire des départements. Actuellement, on finalise le projet GRD (2), qui optimise la gestion du réseau structurant des départements. Avec les mêmes appareils que sur le réseau national, on passe sur le départemental et on scanne la route pour pouvoir prioriser les travaux à mener. Si on arrive à standardiser cette méthode GRD sur tout le territoire, alors tous les départements auront une méthode unique qui permettra de se comparer les uns aux autres.

P. B. : L’un des sujets est la capacité à scanner le réseau routier assez régulièrement. Or, en France, il y a 1 million de kilomètres de routes, dont 10 000 d’autoroutes, 10 000 de nationales et 450000 de départementales. Si on laisse le réseau communal de côté, car ce ne sont ni les mêmes enjeux ni le même trafic, nous avons quand même environ 500 000 kilomètres à gérer. Nous avons essayé de travailler sur des capteurs qui permettent de faire du rendement. Actuellement, nous testons une machine, un déflectographe à grande vitesse, le Tigre3D (3), qui est assez extraordinaire, car il permet de mesurer la déformation des routes sous charge lourde, au rythme de 400 kilomètres de routes par jour, là où, aujourd’hui, on en fait une vingtaine. Si vous réussissez à scanner souvent une route, vous avez alors une bonne vision de votre réseau et vous pouvez mettre en place une politique d’entretien échelonnée, où vous gagnerez 30 % de rendement.

D. J. : On travaille aussi au suivi du réseau communal, avec des technologies low cost qui peuvent se faire avec un smartphone. L’idée est de développer une méthode qui assiste les communes. Par exemple, notre programme d’aide sur les ponts a permis de recenser et d’établir un carnet de santé pour les ponts de 15 000 communes.

P. B. : Le sujet des ponts est très important, car les conséquences sont aggravées. Nous avons lancé, il y a quatre ans, avec le gouvernement, le programme Ponts. Nous avons travaillé avec presque 16 000 communes et diagnostiqué 64 000 ponts. Sur ce nombre, 25 % sont en très bon état, 50 % nécessiteront une intervention dans le futur, et 25 % sont en très mauvais état. Pour ces derniers, il a fallu intervenir immédiatement dans 8 % des cas, et fermer le pont – ou restreindre le tonnage – pour 4 % d’entre eux. Concrètement, on a fermé pas loin de 400 ponts ! Heureusement, dans ce cas-là, nous avons démarré un subventionnement de travaux, avec 55 millions d’euros alloués. Nous subventionnons à hauteur de 60 %, et les communes trouvent en général 20 % de subventions complémentaires. Il reste donc 20% à charge des communes. Les ponts ont un rôle social majeur et représentent un sujet hypersensible. Il en existe plus de 250 000 en France, et beaucoup sont anciens.

Rodolphe Casso

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, Studio Warmgrey

1/ https://doc.cerema.fr/Default/doc/SYRACUSE/20365/projet-gerese- gestion-optmisee-d-un-reseau-secondaire?_lg=fr-FR

2/ www.cerema.fr/fr/evenements/journee-restitution-du-projet-grd

3/ www.cerema.fr/fr/actualites/raptor-nouveau-materiel-evaluation- reseaux-routiers-arrive

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À propos

Depuis 1932, Urbanisme est le creuset d’une réflexion permanente et de discussions fécondes sur les enjeux sociaux, culturels, territoriaux de la production urbaine. La revue a traversé les époques en réaffirmant constamment l’originalité de sa ligne éditoriale et la qualité de ses contenus, par le dialogue entre chercheurs, opérateurs et décideurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


Newsletter

Informations légales
Pour recevoir nos newsletters. Conformément à l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978 et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifications et d’opposition, en nous contactant. Pour toutes informations, vous pouvez accéder à la politique de protection des données.


Menus