Le quartier de La Défense – Extension naturelle de la capitale, miroir grossissant du pays

Symbole d’une modernité en quête de sens, La Défense cristallise les tensions de la métropole parisienne : peut-elle encore incarner l’avenir urbain ? André Yché, ancien président de CDC Habitat et observateur des politiques urbaines, interroge le destin de ce quartier hors norme, miroir des transformations du pays.

 

En toile de fond : quiconque se penche sur l’avenir du quartier d’affaires de La Défense, à cheval sur les communes de Puteaux, Nanterre et Courbevoie, devrait prendre en considération sa généalogie plurielle.

D’abord, il apparaît comme l’aboutissement d’un projet politique : la projection « hors les murs » de l’axe historique (« la voie royale ») de Paris, œuvre persévérante de l’Ancien Régime désireux, à la fois, de développer la capitale vers l’ouest (à l’instar de toutes les grandes métropoles d’Occident) et d’éloigner le Pouvoir monarchique de l’Hôtel de Ville et des quartiers coutumiers de fréquentes « émotions populaires », du faubourg Saint-Antoine jusqu’à la place de Grève.

Ainsi, du palais du Louvre de Philippe Auguste et de Charles V, en passant par les Tuileries de Catherine de Médicis, la place Louis XV et, finalement, les Champs-Élysées, ébauchés par Louis XIV et achevés par Haussmann inspiré par Morny, en direction du futur point d’ancrage napoléonien de l’Arc de Triomphe, la Révolution n’a pas interrompu la continuité géopolitique de la poussée de la capitale vers le couchant.

Dans le prolongement de l’axe historique de Paris, le quartier de La Défense apparaît comme l’anti-Versailles, Louis XIV entendant s’affirmer au centre du Royaume recomposé autour de sa personne, ignorant délibérément la Ville de la basoche et des financiers, définitivement frondeuse et rétive aux « séances de flagellation » qui seront infligées au Parlement de Paris par son successeur.

Il faut dire que dès François Ier, grand amateur des chasses de Saint-Germain au point d’y établir sa résidence secondaire, jusqu’à Henri IV faisant construire le pont en bois de Neuilly après une expérience désastreuse de franchissement en barge de la Seine, c’est bien au-delà du mur d’octroi des fermiers généraux, puis de celui de Monsieur Thiers que les prédécesseurs du Roi-Soleil ont porté leurs regards et leurs pas. Ainsi, le général de Gaulle, féru d’Histoire, n’eut pas de peine à en renouer les fils. En 1946, il avait envisagé un geste régalien : l’installation du gouvernement à Versailles ; en 1958, il créa l’Epad pour amorcer l’ouverture de l’économie nationale sur le « grand large » !

En ce mitan du XXe siècle, la conquête de l’Ouest est, d’abord, une nécessité économique qui résulte, dans l’entre-deux-guerres, de l’industrialisation du pays autour des fabrications issues des nouvelles énergies : l’électricité et le pétrole ; l’aviation, l’automobile, la sidérurgie, la chimie : c’est ainsi que Nanterre, Puteaux, Boulogne bien sûr, connaissent leur moment industriel.

C’est de l’apogée de ce mouvement d’industrialisation désormais ouvert sur  l’Europe et des prémisses de sa relève par la tertiarisation annonciatrice de l’« économie monde » que naît La Défense, produit d’une généalogie dont les marques transparaissent encore, et d’abord à travers une relation ambiguë de concurrence / complémentarité avec la Ville lumière : deux pôles de centralité entrepreneuriale qui se jaugent et se confrontent, et des outils d’aménagement qui se partagent un même espace métropolitain : ainsi « Grand Paris Aménagement » ne saurait franchir les marches du « Péri-Défense » !

Photo : Le quartier de La Défense, crédit : archives AFP

Et pourtant, de quelle « défense » s’agit-il, sinon de celle de Paris, organisée en 1870 autour du rond-point de Courbevoie, épisode qu’immortalisera le monument de Louis-Ernest Barrias, installé en 1883, réinstallé un siècle plus tard, qui donnera son nom définitif au quartier éponyme.

Quartier d’affaires, d’abord, mais impliqué, dès l’origine, dans le résidentiel, parce que la plupart des ouvriers qui le bâtissent vivent dans les bidonvilles de Nanterre, et parce que le projet inclut la programmation de 600 000 mètres carrés de logement.

De ces origines multiples découle le rôle de « caisse de résonance » de la crise immobilière nationale que traverse le pays et surtout celui de démonstrateur de transformation que le premier quartier d’affaires d’Europe est appelé à jouer à l’avenir.

S’agissant de l’Ile-de-France, un des principaux ressorts de la crise de l’urbanisme et, corrélativement, de l’économie immobilière qui en résulte est aisé à résumer : une surcapacité structurelle de surfaces de bureaux qui engendre une forte vacance (6 millions de mètres carrés « marchands ») qui ne peut que croître à l’avenir par suite de la conjonction baissière de paramètres clés (le taux de placement des livraisons récentes qui s’est effondré depuis plus de dix ans, la surface affectée à chaque poste de travail qui a explosé en vingt-cinq ans, passant de 13 m2 à 43 m2 et qui ne peut que s’ajuster à l’avenir, enfin les perspectives de création d’emplois tertiaires qui sont, au mieux asymptotiques).

Plus globalement, la saturation des transports collectifs sous la pression d’une métropolisation difficilement maîtrisable fait que le modèle de la charte d’Athènes et dont le PLU est l’expression la plus achevée, fondé sur la spécialisation spatiale, paraît épuisé au profit d’un urbanisme multifonctionnel à l’échelle du quartier, de l’îlot, voire de l’immeuble.

Il convient donc de tirer toutes les conséquences d’une crise durable, susceptible de provoquer une prolifération de friches tertiaires, fussent-elles verticales, dégradant l’attractivité des quartiers et des territoires concernés tout en pesant de plus en plus sur le modèle économique des véhicules d’investissement immobilier.

La seule voie de sortie de crise passe par l’assainissement du marché, par la transformation des actifs et, en l’absence de possibilité de diversification d’usage, par leur démolition pure et simple.

L’outil essentiel de la recomposition urbaine consiste dans la foncière de transformation qui, pour trouver sa juste place dans cette nouvelle industrie immobilière, doit s’inscrire dans un paysage redéfini.

Une des deux causes principales de blocage réside dans la valorisation excessive des actifs à transformer, conséquence systémique du quantitative easing qui a conduit à déverser en dix ans de l’ordre de 10 000 milliards d’euros de liquidités sur l’économie européenne, permettant une valorisation nominale de toutes les catégories d’actifs, immobiliers ou non, indépendamment de leur utilité économique et sociale réelle, telle qu’exprimée par leur taux de rendement interne.

Pour résumer un dysfonctionnement majeur de l’économie immobilière, qui s’applique d’ailleurs dans des termes analogues à l’immobilier résidentiel, le poids artificiel des actifs figurant dans le bilan stérilise les flux de transaction et de réinvestissement : les stocks assèchent les comptes de résultat, les acquis du passé obèrent l’avenir, caractéristique intemporelle de toute situation prérévolutionnaire.

Il découle de ce constat, largement partagé, qu’il est indispensable d’accélérer la révision de la valeur des actifs inutilisés et qui ne retrouveront plus de preneur pour leur usage initial : telle est la condition de leur transformation et de leur réemploi.

Ce préalable indispensable passe par une initiative politique inspirée de la « grande tactique » illustrée au cours des plus brillantes campagnes de la Grande Armée, avant l’Espagne et la Russie : fixation, débordement, encerclement, reddition.

La fixation : une taxe progressive sur les bureaux vacants. Le débordement : le statut d’une société de transformation, dont les actifs apportés par leurs propriétaires/gestionnaires soient exonérés de ladite taxe, sous condition de dépôt de projet de transformation dans les deux ans ; avec en prime diverses dérogations relatives au règlement des SCPI, aux normes de construction fixées à la date d’édification de l’immeuble, à la récupérabilité de la TVA sur les travaux de transformation, et sur bien d’autres points…

En bref, un cadre dérogatoire au droit commun, précisément circonscrit dans le statut d’un véhicule opérationnel. En synthèse, le contraire du nivellement républicain, mais supervisé par le préfet.

Et, enfin, à partir de ce démonstrateur, La Défense qui retrouve sa vocation originelle, en contribuant aux visées de l’État et en ouvrant la voie à la modernisation économique et sociale du pays !

André Yché

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